Depuis une dizaine d'années, la compagnie BlonBa du Mali poursuit une action théâtrale populaire ancrée dans la réalité malienne. Ses comédiens, dirigés par des metteurs en scène africains et européens, ont produit des pièces à la fois en bambara (langue la plus parlée du Mali) et en français. Ces pièces conçues dans la tradition populaire ritualisée du kotèba ont connu une diffusion tant nationale qu'internationale. Vérité de soldat est la dernière pièce de la compagnie, mise en scène par l'ancien directeur des Francophonies en Limousin, Patrick Le Mauff, dont c'est la troisième collaboration avec BlonBa. Pour lui, il s'agit d'une «contribution théâtrale pour une catharsis de l'Indépendance». Une pièce poignante et universelle. Ses thèmes sont les heurs et malheurs de la construction nationale en Afrique et la nécessité pour les victimes de l'histoire de surmonter leurs souffrances. Créé à partir d'un scénario écrit par l'essayiste Jean-Louis Sagot-Duvauroux, cofondateur de BlonBa, ce spectacle raconte les cinquante ans de l'histoire du Mali indépendant. Trois personnages incarnent les principales étapes de cette histoire qui a conduit ce grand pays ouest-africain, du socialisme scientifique avec Modibo Keïta jusqu'à la démocratie, en passant par la dictature militaire. Deux de ces personnages sont inspirés de la réalité historique. Il s'agit de Soungalo Samaké, le sous-officier parachutiste qui a déclenché le coup d'Etat militaire du 19 novembre 1968 en arrêtant le président charismatique Modibo Keïta. Le second personnage historique est Amadou Traoré, personnalité en vue de la première République, mais qui après le coup d'Etat sera torturé et emprisonné par les hommes de Samaké. A la fois bouleversante et fondatrice, cette pièce est portée par les comédiens et par les questions que ceux-ci se posent sur l'histoire de leur pays. Leurs dialogues s'inscrivent dans un débat d'idées sur la construction nationale, sur le besoin de libérer la parole sur le passé pour aller de l'avant. Comment garder en mémoire les crimes des dictateurs et des tortionnaires, sans tomber dans un processus de vengeance qui compromettrait les chances de construire l'avenir ? A ces interrogations, viennent se greffer des questionnements sur l'esthétique. «Tout notre travail consistait à trouver la forme la plus appropriée pour raconter cette histoire exceptionnelle, explique le metteur en scène. Comment rendre compte de la douleur ? Comment rendre compte de la perversité ?» Le fonctionnement de la pièce rappelle les séances de la Commission Vérité et Réconciliation en Afrique du Sud qui ont permis aux Sud-Africains d'écouter les confessions des bourreaux de l'apartheid, et peut-être de leur pardonner.