Il y a quelque temps, Miguel Gaspar analysait dans Diario de Noticias les résultats d'une étude surprenante. Elle démontrait que les Portugais sont fiers de leur histoire mais doutent de leur avenir. Ses propos croquent un passionnant portrait de groupe: "La façon dont nous parlons de nous-mêmes ressemble à un diagnostic : nous ressemblons à des cyclothymiques, soit euphoriques soit déprimés; mais le soir venu il ne reste que le côté triste. Comme si la fête, du fait de son caractère passager, ne méritait pas de rester dans les mémoires. (...) Les auteurs de l'étude nous disent que le fait d'être portugais est certes assumé avec fierté mais d'une manière hésitante. Ils sont très fiers de leur passé, pas des temps actuels. Dans l'histoire, on trouve les Vasco de Gama, Luis de Cames... Pour ce qui est du présent, selon les chercheurs, il n'y a aucun motif de fierté dans la façon dont fonctionnent la démocratie et l'économie. S'il en est ainsi, on peut dire que les Portugais font preuve de lucidité. (...) Cela fait longtemps que nous observons notre société sous le prisme de la décadence. Pourrons-nous un jour vaincre notre pessimisme structurel ?" Pessimisme structurel, le mot sonne fort. Pourtant, les Portugais ne sauraient avoir le monopole du pessimisme. Selon un sondage BVA-Gallup international rendu public hier, les Français semblent les champions du monde du pessimisme quant à leur situation économique en 2011. Leurs "prouesses" en la matière sont fortes. Si fortes qu'elles éclipsent même les habitants de pays en guerre comme l'Irak ou l'Afghanistan. Ainsi, pour 61% des Français, l'année 2011 sera synonyme de difficultés économiques. Ailleurs dans le monde, la moyenne des pessimistes est de 28%, ( 22% en Allemagne, 41% en Italie, 48% en Espagne et 52% au Royaume-Uni). Bien pis, le pessimisme des Français a augmenté de dix points en une année. Et ils sont bien 37% des Français qui croient que leur situation personnelle se dégradera. De ce fait, l'Hexagone se retrouve dans le "Top 5" mondial des Français escomptant sa forte augmentation. Là aussi, la France se retrouve à la troisième place, derrière le Royaume-Uni et le Pakistan. Les temps sont durs. C'est partout ou presque le même topo. La crise frappe indistinctement le vécu. Et entame le moral. Mal outillé, les idéologies et les vecteurs d'idéaux étant nettement en perte de vitesse, l'homme se retrouve seul. Ce que dit Miguel Gaspar vaut pour nombre d'autres pays : le soir venu il nous reste la tristesse. Encore heureux qu'on puisse voir le bout du tunnel sous peu. La vie est faite de hauts et de bas, de pertes et profits, se dirait-on à part soi. Mais l'ennui c'est qu'on nous parle souvent de reprise sans que cela ait un sens vrai. C'est-à-dire sans que cela soit tangible dans le vécu. Aux Etats-Unis d'Amérique, les experts parlent même de reprise sans emplois. Et beaucoup de chômeurs y préfèrent travailler gratuitement, afin de maintenir leur carnet d'adresses et expertise. Jusqu'ici, les économistes mondiaux les plus chevronnés n'ont guère scénarisé la sortie de crise. Les constats succèdent aux bilans. Le tout sur fond de sinistrose et de frilosité. Les hommes n'y peuvent guère. Le système capitaliste a besoin de crises périodiques pour se renflouer, soit. C'est une thèse d'école. Mais là, la crise semble précisément être devenue la règle. Et l'on peut même dire, a contrario, que la crise a besoin de quelques soupçons d'accalmie pour revenir encore plus ravageuse et poignante. Des centaines de millions de personnes en pâtissent, un peu partout dans le monde. Et pourtant, il ne se trouve guère quelque partie qui en endosse la responsabilité. L'impunité est immanente au capitalisme. Les hommes en sont, tout au plus, l'huile et le rouage de la machine infernale. Et ils semblent condamnés à n'avoir guère d'états d'âme. Hormis leur tristesse, le soir venu.