Son premier livre avait constitué un réel événement éditorial. On se souvient de ce superbe roman De la part de la princesse morte, dans lequel Kénizé Mourad racontait l'histoire de sa famille ottomane. Pour la petite histoire, Robert Laffont avait tranché devant un comité de lecture dubitatif, et c'est l'avis de son jeune voisin tunisien à qui le célèbre éditeur donnait toujours à lire ses manuscrits, qui fit pencher la balance. Le succès du livre surprit l'éditeur, lui-même. Kénizé Mourad était venue à Tunis présenter son livre, et rarement conférence fit telle audience. Les lecteurs, surtout les lectrices, se découvrirent des cousinages oubliés, et des ascendances ignorées. D'origine turco-indienne, Kénizé Mourad raconta par la suite l'histoire de sa famille indienne dans Le jardin de Badalpur. Une fois hommage rendu à ses origines, cette journaliste courageuse, reporter spécialisé dans les affaires du Moyen-Orient, signa un livre consacré au conflit israélo-palestinien Le Parfum de notre terre. Aujourd'hui, elle nous revient avec Dans la ville d'or et d'argent, vaste fresque historique consacrée au destin de Hazrat Mahal, bégum héroïque et méconnue de l'Histoire de l'Inde du XIXe siècle. «J'ai entendu parler de cette bégum au cours de mes visites familiales à Lucknow. Curieusement, personne n'avait jamais rien écrit sur elle. Je me suis demandée pourquoi. Peut-être que, du côté anglais, on n'aimait pas évoquer cette héroïne qui mit en échec l'armée britannique. Et du côté indien, on évoquait plus volontiers Rana Jhansi, héroïne indoue que cette combattante musulmane. Ce n'est bien sûr qu'une tentative d'explication sur ce silence». Kénizé Mourad alla donc interroger la mémoire collective, celle des vieilles tantes et des amis de la famille: «Il m'a fallu deux années d'enquête, d'interviews, d'interrogatoires, de recherches dans les archives. Les orthographes des noms avaient souvent changé, il a fallu faire des recoupements, des vérifications. Pour retranscrire les batailles, j'ai reconstitué de véritables champs de bataille, avec des petits drapeaux. Ce qui explique qu'il m'ait fallu deux autres années pour rédiger cet ouvrage», déclare-t-elle. Nous sommes en 1856, et la toute puissante Compagnie anglaise des Indes orientales règne sans partage sur la majeure partie du pays. Celle-ci décide d'annexer l'Etat indépendant de Awadh, le plus riche de l'Inde du Nord. Une femme se lève et prend la tête de l'insurrection : Hazrat Mahal, quatrième épouse du roi, s'oppose à la toute puissante compagnie, et parvient, deux ans durant, à la tenir en échec. Sur cette fresque superbe viendra se greffer une histoire d'amour, bien sûr, qui donnera à cette fresque historique une dimension romanesque. Un livre dans la veine des grandes sagas, recréant une vie, une atmosphère, un environnement tout de couleurs, de senteurs. Kenizé Mourad, qui vit à Paris, et se rend souvent en Turquie, en Inde et au Pakistan, envisage, en ce moment, de venir s'installer en Tunisie. Elle promet, en tout cas, de venir y présenter son livre.