• Nous avons appris bien de leçons. La première est que, dans notre pays personne n'admettait les critiques. Pas même les artistes et les créateurs. Encore moins les responsables et les politiques La surdité des uns face aux droits des autres, pire des violences, engendre elle une violence hélas aveugle. C'est-ce que nous avons subi depuis ces derniers jours. Oui des responsables ont, au cours de ces vingt dernières années ignoré les vrais problèmes de nos concitoyens et induit en erreur tout notre peuple. Il ont essayé de lui ôter toute visibilité mais ils ont réussi en même temps à faire taire toutes les voix qui voulaient le débarrasser de l'horrible bandeau. Nous étions là, à constater la quasi unanimité des urnes, l'adhésion de la quasi-totalité des structures et des intellectuels au choix de ces urnes, y compris la plupart des partis, la plupart des associations, la plupart des syndicats, etc. Tout notre peuple empruntait la même voie d'une seule voix. Que restait-il pour nous, nous autres journalistes dont bon nombre d'entre nous souffraient de la précarité de l'emploi ou du statut, sinon essayer tant bien que mal de constater les écarts perceptibles par rapport à la loi? Et il nous fallait des preuves. Vous savez ce que veut dire avoir des preuves? Bien sûr! Entreprise difficile surtout au milieu de ce monolithisme devenu au fil des jours sans faille. On nous filait l'information mais non les documents. On nous saisissaient puis on nous imposait l'anonymat. Tous avaient peur dès qu'il s'agissait de témoigner même pour réclamer son droit. Nous étions donc entre le marteau d'une version qui pouvait être la vérité et l'enclume d'une autre version qui ne venait pas. Qui pourrait nous croire en révélant que des citoyens venus nous demander de défendre leurs causes, nous gratifient souvent et après coup d'un :" pouvez-vous nous contacter pour nous annoncer la publication de l'article ? Cela quand ils ne vous demandent pas carrément de leur garder un exemplaire du numéro en question. Ah quand les gens ne lisent pas! Que de dérives dénoncées, mais… Ici même, dans cette même rubrique et dans d'autres que les impératifs et les contraintes de l'espace réservé à l'actualité officielle nous laissaient, nous nous efforcions de profiter de cette de liberté surveillée. Nous avons pu, malgré tout, dénoncer bien des abus de la part de fonctionnaires, de responsables et même de simples citoyens. Nous avons dénoncé les interminables hésitations de notre système scolaire, la pagaille qui règne sur nos routes et dans les transports, l'impuissance du citoyen face à l'administration et face aux commerçants et autres prestataires de services, la dérive de notre rue et la violence qu'elle dégage y compris devant collèges et lycées, la mauvaise gestion de nos entreprises nationales, le divorce qui sape les fondements de notre société, la violence verbale et la fièvre acheteuse et tous les vices qu'elle engendre, etc. Nous l'avons fait dans et pour l'intérêt général, en veillant scrupuleusement au respect de la déontologie et des lois du pays. Certaines comme celles qui régissent la presse sont particulièrement sévères et tout le monde le sait. Nous l'avons fait tout en misant sur l'intelligence de nos lecteurs, qui eux savent lire entre les lignes et sur celle des hauts responsables, à l'affût de toutes les remarques. Celles-ci étaient le plus souvent considérées comme étant des attaques envers leur personne. Ces derniers nous contactaient souvent. D'abord pour s'assurer du bien fondé de nos critiques et souvent pour nous promettre d'intervenir afin de sévir ou de prendre les décisions qui s'imposent afin de remédier aux problèmes évoqués. Plusieurs fois nous avons reçu de la part de hauts responsables des menaces de poursuite au cas où les informations avancées ne s'adossaient pas à des faits solides. Représailles Nous avons dénoncé bien des fois des abus et des irrégularités, et fait de notre mieux pour inscrire notre action dans le contexte d'un pays en chantier qui a besoin d'une presse responsable crédible même si parfois elle pourrait être taxée de timidité. Le responsable de la publication qu'on changeait d'ailleurs très souvent nous déchargeait parfois de certaines affaires ou de certains dossiers tout en promettant de les soumettre aux grands décideurs. Son argument, le respect de la ligne éditoriale de notre journal. Celui-ci est connu pour être le porte-parole du Gouvernement alors qu'on oublie souvent qu'il appartient à une entreprise publique, donc au peuple et qu'il est de ce fait tenu de défendre l'intérêt général et de dénoncer les écarts de tous et de chacun par rapport à la loi. Cette crédibilité nous avons essayé de l'entretenir en s'assurant de celle de nos sources. Chose qui n'est pas toujours aisée. Chaque fois que nous avons critiqué un organisme gouvernemental ou non, nous avons eu droit à des représailles sous forme par exemple de rétention de l'information de la part des représentants de ces organismes. Quand il s'agissait d'une personne influente c'est la publicité qui est retirée. De quoi effrayer tout responsable de la publication sachant qu'il est aussi responsable du devenir d'une entreprise qui fait vivre directement plus de 400 familles. Nous avons appris bien de leçons. La première est que dans notre pays personne n'admettait les critiques. Pas même les artistes et les créateurs. Encore moins les responsables et les politiques. Chaque Tunisien se considère, en effet comme infaillible et que toute critique même fortement argumentée et nécessaire signifiait avoir sur le dos un ennemi mortel. Personne chez nous n'aime les médias, encoire moins les journalistes. Sauf s'ils se tiennent tranquilles. Aujourd'hui, et après tant de luttes, de sacrifices et de souffrances, toutes filles de notre noble métier (diverses maladies, mortalité précoce, déprime, misère…), nous constatons, non sans amertume, que bon nombre de Tunisiens, ayant bénéficié de notre sincère engagement pour leurs causes au sein de notre jeune société, sont les premiers à nous vilipender. Cela s'appelle aussi «une violence aveugle».