PARIS (Reuters) — La France a entamé hier son autocritique sur le soutien qu'elle a apporté jusqu'à la dernière minute au régime de l'ancien président tunisien Zine El Abidine Ben Ali pour des raisons politiques et économiques. Paris a refusé de critiquer le président déchu jusqu'à sa fuite pour l'Arabie Saoudite vendredi après 23 années de pouvoir et Ben Ali a bénéficié de la mansuétude des présidents successifs de droite comme de gauche, de François Mitterrand à Nicolas Sarkozy en passant par Jacques Chirac. La ministre des Affaires étrangères, Michèle Alliot-Marie, s'est en outre attirée les foudres de l'opposition en parlant mardi dernier de "mouvements sociaux" et en proposant l'aide de la France aux forces de l'ordre qui les réprimaient. Le chef de la diplomatie française avait appelé à l'"apaisement" et au "dialogue", "sans nous ériger (...) en donneurs de leçons face à des situations" complexes. Une position qui a incité le socialiste Pierre Moscovici ou l'écologiste Cécile Duflot à réclamer sa démission. Un "pays stable" Le ministre de la Défense, Alain Juppé, a reconnu hier que la France avait sous-estimé le sentiment de révolte des Tunisiens, ce qu'il explique par une sorte d'aveuglement. "Dans le passé, la plupart des pays européens, nos alliés américains, portaient sur la Tunisie un regard favorable, parce que c'était un pays stable politiquement, qui se développait économiquement", a-t-il déclaré à l'Hôtel de Ville de Bordeaux à l'occasion de ses vœux à la presse. Selon lui, "des réformes sociales étaient faites, le traitement de la femme en particulier, une classe moyenne apparaissait, des efforts très importants ont été faits pour développer l'éducation", ce qui a conduit à cette analyse tronquée de la situation politique en Tunisie. "Ceci nous a conduit à sous-estimer l'exaspération du peuple tunisien face à un régime policier et à une répression sévère", a reconnu le numéro deux du gouvernement. L'Elysée pratique aussi une forme d'autocritique. Le conseiller spécial de Nicolas Sarkozy, Henri Guaino, a reconnu, sur RTL, qu'il y a "pu avoir des maladresses ou des incompréhensions". Mais il a justifié a posteriori la position française par le fait que la France ne pouvait ni intervenir de manière trop visible, ni imaginer l'ampleur de la répression. "La question est de savoir ce que la France devait faire. Imaginez que la France intervienne dans les affaires intérieures d'un ancien protectorat. Qu'aurait-on dit ?", a-t-il déclaré. "Personne, ni dans l'opposition, ni dans la majorité, ni chez les experts, ni dans les services spécialisés, même pas les Tunisiens, ne pouvait prévoir que les choses iraient si vite, si loin et qu'elles seraient aussi rapidement dramatiques." "Ça n'est pas à la France d'être le gendarme de la Méditerranée", a-t-il ajouté en estimant que Michèle Alliot-Marie avait dit ce qu'elle a dit "sans mauvaise intention du tout à partir d'une analyse qui était la sienne". "Obama est loin" L'exécutif français estime cependant que les "donneurs de leçons" éloignés ont la partie trop belle. Le ministre de l'Industrie, Eric Besson, qui a épousé une Tunisienne, a ironisé sur la position en flèche des Etats-Unis, qui n'ont selon lui pas à se préoccuper de la sécurité de leurs ressortissants, alors que les Français sont 22.000 en Tunisie. "C'est presque facile pour le Président Obama de dire ‘‘bravo et good luck'' mais il est loin, il y a moins d'Américains en Tunisie et de Tunisiens aux Etats-Unis. Nous, nous sommes tenus à une certaine prudence", a-t-il expliqué sur France 2. Henri Guaino a souligné que, pour la France, la Tunisie "c'est presque un problème de politique intérieure". Mais les autorités françaises s'accordent maintenant pour défendre la position actuelle de la France, un lâchage aussi brutal que le soutien au président déchu a été total. Dès son départ de Tunisie, les autorités ont annoncé avoir pris des dispositions pour bloquer des mouvements suspects d'avoirs de l'ex-président tunisien et de son entourage en France. La France a également fait savoir qu'elle ne l'accueillerait pas et que les membres de sa famille qui s'y trouvaient encore samedi devaient quitter son territoire.