Le chant du cygne a été entonné au XIIe siècle quand le Marocain Chérif Al Idrissi, géographe du royaume normand de Sicile, a représenté la carte du monde à l'envers avec le sud en haut et le nord en bas. Depuis lors, les Arabes, déboussolés, éclopés, marchent sur la tête arrivant en retard à tous leurs grands rendez-vous. Rebuts de l'histoire, nous macérons dans l'insignifiance et la médiocrité, dans une moderne bébouinité attifée des plus sombres arabesques : immobilisme, archaïsme, dogmatisme, intégrisme, salafisme, césarisme… conduisant vers la marginalisation, la frustration et le repli identitaire. Pourtant, Al Jahiz nous reconnaissait beaucoup de qualités, rapportant qu'il y avait «dans les eaux du Nil des chevaux capables de dévorer les crocodiles en un clin d'œil». Aujourd'hui, sur ces mêmes rivages, pour remplacer ces fabuleux centaures, le Arabes, moisis et affadis, ont fabriqué une ligue de manchots incapables de se prendre la tête, préférant l'exhibitionnisme à la réflexion et à l'action. A qui incombe cette hécatombe, cette nekba, ce naufrage, ce malheur arabe ? Est-ce le mektoub ? Non, l'erreur est humaine. Elle est l'œuvre de nos mastodontes, nos tyrannosaures, nos mâles alpha. Manifestement, nos Sapiens Big Brothers, chantres de l'ordre et de la discipline, confondent gouverner et asservir au point d'inventer une arabomania caractérisée par l'ardent désir d'instaurer des républiques héréditaires pour assurer à leur descendance une véritable généalogie du bonheur. A l'évidence, ils se sont inspirés de Machiavel qui disait au Prince que «le but principal de l'art de gouverner devrait être la durée plus précieuse que la liberté». Ils auraient mieux fait d'écouter Huxley : «Pour gouverner, il s'agit de siéger et non d'assiéger. On gouverne avec le cerveau et les fesses, jamais avec les poings». Mais malheureusement, nos hiérarques, néo-zoomorphistes, veulent faire de nous des béni-oui-oui, des bêtes de somme, une nouvelle race d'indigènes à quatre pattes dans une ère de décolonisation inachevée ou les maîtres ont — tout simplement — changé de nationalité et portent des noms arabes. «Tous les animaux sont égaux mais certains sont plus égaux que d'autres», dira Orwell, le merle moqueur. Aujourd'hui, dans les pays arabes, «la maison brûle» à cause de l'accumulation des déceptions, des frustrations et de la déperdition de la société civile étouffée par nos boas constrictors, ces émirs autoproclamés qui nous ont enfermé dans un establishment liberticide diabolisant l'opposition, bâillonnant les médias, s'adonnant à une politique spectacle avec prolifération des pantins et des tigres en papier, d'institutions au service du pouvoir, légalisant corruption, gabegie et braderie de tous genres, et que sais-je encore… Merci de m'avoir ouvert cet espace pour me débarrasser de mes vieilles jérémiades, de m'avoir laissé dégrafer mon cerveau pour bramer comme un serf presque affranchi. Aujourd'hui, ma mélancolie s'est dissipée car à l'instar d'Isaac Newton, adepte — aussi — de l'alchimie et de l'astrologie, j'ai vu sur la carte du monde d'Al Idrissi le soleil se lever à l'ouest, signe qui annonce un heureux événement. Un jour, je me le suis promis, je rencontrerai des Arabes capables de nous sortir de notre chrysalide, de notre «trou noir» et nous faire vivre un renouveau politique digne de nos attentes, supprimant le hasard et le risque de chaos, privilégiant la compétence et non l'obédience, où la force le cédera au droit. Sauvons l'avenir des générations futures. Plaçons-nous sur une orbite vertueuse pour une stabilité politique durable. Déchirons nos suaires et détruisons nos tabous, car plus que jamais, nous avons besoin de nouvelles traditions. Œuvrons ensemble pour un bonheur durable, pour l'avènement d'une société non violente, avec une parole citoyenne libre où les intolérants de tout genre ne l'emporteraient pas sur la démocratie participative. Tout demeure possible et je crois en Zarathoustra quand il dit : «Ce qui est grand dans l'homme, c'est qu'il est un pont…ce que l'on peut aimer dans l'homme c'est qu'il est une transition». Quelle belle introduction à la belle allégorie du vol des canards : le canard éclaireur laisse sa place au suivant, tous prendront tour à tour la tête et la queue du groupe sans qu'aucun ne se prenne pour un super ou un sous-canard. Les canards, eux, n'ont pas perdu le nord et leur bon sens. Chez nous, «tout Arabe veut être le chef, aucun ne veut s'effacer devant un autre», nous serine Ibn Khaldoun, parlant de nos ancêtres les bédouins. Mais autres temps, autres mœurs. Aujourd'hui, à l'ère du cyberespace, nous sommes dans une configuration de «contiguïté culturelle», comme le dit si bien Calvino. Nos vérités s'additionnent, se fertilisent et Fukuyama d'ajouter : «Le succès de la démocratie parmi des peuples et en des lieux si divers suggérerait que les principes de liberté et d'égalité sur lesquels le système est fondé ne sont pas le fait du hasard ou le résultat de préjugés enthnocentriques mais sont vraiment la révélation de la nature humaine». Mon arabité, je revendique; mon métissage culturel, je savoure, le reste est une démesure démentielle de certains eugénistes, à l'image du docteur Carrel (Prix Nobel 1912), qui soutiennent la théorie de la constitution mentale des peuples et l'immutabilité des races. Refusons la médiocrité comme destin. Mais, nous ne sortirons de notre marasme que par un changement de notre gouvernance. Par la démocratie. «C'est une gigantesque bataille culturelle entre le XXIe et le XIIe siècle, entre la liberté et la répression, entre la tolérance et le fanatisme, entre la démocratie et la tyrannie». Alors, Arabe, lève-toi et marche. L'homme qui marche est un être debout qui refuse de se taire et de se terrer. «Ville après ville, pays après pays, région après région, nous devons multiplier le nombre des acteurs qui refusent l'apocalypse et préfèrent jouer le rôle de bâtisseurs d'une existence libre et meilleure».