Human Rights Watch ( HRW) est une organisation internationale indépendante dont la mission consiste en l'enquête et la révélation de la vérité partout dans le monde. Elle s'applique, dans ce sens, à la vérification de la concrétisation des droits de l'Homme et des directives des conventions internationales. Hier, HRW est parvenue à tenir un point de presse à Tunis, ce qui ne pouvait aucunement avoir lieu il y a à peine quelques semaines. Ce point de presse a permis aux responsables de cette organisation, notamment ceux qui se sont penchés sur la révolution populaire et l'abolition du régime de Ben Ali, d'assumer leurs responsabilités en tant qu'enquêteurs et de présenter un rapport objectif réaliste de ce qui s'est passé en Tunisie, et plus précisément à Kasserine et à Thala durant la période située entre le 8 et le 12 janvier 2011. L'enquête a été menée entre les 19 et 22 janvier 2011. Elle repose sur des témoignages recueillis auprès des civils, des médecins, des avocats mais aussi des familles des victimes. Présidant la conférence de presse, M. Eric Golsteïn, directeur adjoint du bureau de HRW dans la région du Moyen-Orient et d'Afrique du Nord, a remercié toutes les organisations tunisiennes qui ont soutenu le travail d'enquête de HRW. Il a indiqué que la majorité écrasante des pays réfutent le travail d'enquête de cette organisation, sous prétexte qu'elle les cible injustement. Il a cité pour exemples le Maroc, la Syrie et Israël. Il a indiqué, également, que l'organisation HRW a toujours cherché à éclairer le monde sur les actes d'altération des droits de l'Homme, et ce, dans l'optique d'effectuer une sorte de pression sur les décideurs afin qu'ils corrigent leurs méthodes. Pour ce qui est de notre pays, M. Golsteïn a éclairé l'assistance sur la répression qu'a connue HRW au fil des 23 années passées. Cette organisation a publié en 1992 un rapport sur la répression qu'a connue le mouvement «Ennahdha». Elle s'est également intéressée à l'oppression de la Ligue tunisienne pour la défense des droits de l'Homme, sur la maltraitance des détenus politiques ainsi que sur l'indépendance des organisations estudiantines. «Le présent point de presse s'avère vraiment exceptionnel. Avant, nous n'avions pas la possibilité d'enquêter et de présenter publiquement nos rapports. Certes, nous avions la permission d'entrer dans le territoire tunisien mais sans plus‑: pas d'enquêtes, pas de sondages d'opinions. Nous espérons que le nouveau gouvernement sera ouvert à toutes les organisations internationales», souligne M. Golsteïn. Prenant la parole, M. Daniel Williams, chercheur, a présenté le rapport de HRW sur la situation qu'ont connue les villes de Kasserine et Thala entre le 8 et le 12 janvier 2011. Le choix de ces deux villes n'est point un hasard. En effet, la ville de Thala a connu le plus grand nombre de victimes par rapport au nombre de sa population. Quant à Kasserine, elle a connu le plus grand nombre de victimes dans tout le territoire. Thala compte 35 mille habitants. Elle est connue pour ses ruelles, ses petites maisons et un niveau de vie très modeste. Le principal moyen de communication dans cette région n'est pas le Net, mais le système de bouche à oreille. Selon M. Williams, le 8 janvier marque les premiers cas de décès dans cette ville, suite notamment à la répression, par les agents de police, des manifestations non déclarées, menées notamment par des jeunes Tunisiens. Des coups de feu ont été constatés non sans étonnement de la part des habitants. «Dans de pareilles circonstances, les agents de police recourent aux balles caoutchoutées», fait remarquer l'orateur. Le rapport indique que les manifestations menées du 3 au 7 janvier n'ont pas donné lieu à des cas de décès. Entre le 8 et le 12 janvier, six citoyens ont été tués par balles à Thala. Pour ce qui est de Kasserine, qui compte 100.000 habitants, la police a, également, eu recours aux coups de feu à partir du 8 janvier. En seulement deux jours, 15 personnes ont été tuées par balle. Il y a lieu de noter, par ailleurs, que des affrontements fatals entre les manifestants et les agents de police ont marqué l'histoire de la cité Ezzouhour, plus précisément de la Tour de l'Horloge, désormais appelée «place des martyrs». Le rapport de HRW est truffé de témoignages révélant la vérité dans les moindre détails. M. Golsteïn indique que les familles des victimes n'hésitent pas à montrer à l'équipe de HRW les vêtements des martyrs, souvent tachés de sang pour montrer les trous causés par les balles. Ce qui est certain, par ailleurs, c'est que les agents de police n'avaient pas le droit de recourir aux tirs. Dans le rapport, HRW précise que la loi internationale, plus précisément le 9e principe, ne permet le recours aux tirs qu'en cas d'extrême gravité et de nécessité absolue, et ce, afin de sauver des vies. D'autant plus que la loi tunisienne exige que les agents de police procèdent à des étapes inéluctables avant de tirer. Il importe, en effet, de se présenter en tant qu'agents de police, d'avertir les personnes en question quant à leur intention de tirer, de donner à ces personnes le temps de réagir. Selon le rapport, ces étapes n'ont aucunement été respectées par les agents de police. Par ailleurs, et en ce qui concerne les articles 20 et 22 de la loi n°4 pour l'année 1969 en date du 24 janvier 1969, le recours aux tirs relatifs aux manifestations et aux rassemblements, ces articles donc n'autorisent le recours aux tirs qu'après épuisement des autres moyens de disperser la foule. Ces moyens consistent en l'utilisation des jets d'eau, la poursuite des manifestants en s'armant de bâtons, le recours aux bombes lacrymogènes, le recours aux tirs verticaux, tirer à un niveau supérieur aux têtes des manifestants et tirer sur les jambes des manifestants. «Or, remarque M. Golsteïn, certaines victimes ont été touchées au niveau de la nuque et au dos». Cela justifie clairement le non-respect de la loi et le recours avec préméditation à des crimes au détriment du peuple. «Il y a lieu de noter, en outre, que le recours inattendu et exagéré des agents de police aux tirs n'a fait que raviver la colère des Tunisiens. Ces derniers ont été ainsi plus que jamais décidés à venger leurs martyrs et à recouvrer leur dignité et leur liberté», fait remarquer M. Williams. Recommandations Le rapport de Human Rights Watch ( HRW) s'achève sur une série de recommandations adressées au gouvernement provisoire tunsien et à la commission d'enquête contre l'atteinte aux droits de l'Homme. Pour ce qui est des recommandations adressées au gouvernement tunisien, HRW exige que le système juridique élabore des enquêtes indépendantes, rapides et intégrales sur tous les crimes commis par la police et qui ont causé la mort de manifestants non armés, et ce, pour la période précédant le départ de Ben Ali. Ces enquêtes doivent impérativement permettre l'identification des agents, l'unité à laquelle ils appartiennent, le chef qui leur a donné l'ordre de commettre ces crimes, et ce, afin de juger comme il se doit tout coupable. HRW recommande également au gouvernement de tolérer et de recourir aux organisations locales et internationales susceptibles de donner un coup de pouce aux éventuelles enquêtes. Il est indispensable que le gouvernement préserve les preuves et les arguments permettant d'éclairer les enquêteurs sur les responsables de ces crimes. HRW recommande également d'adapter aux lois internationales les textes de loi tunisiens réglementant le recours aux tirs ainsi que ceux relatifs au droit de manifester. Quant aux recommandations adressées à la commission chargée d'enquêter sur l'atteinte aux droits de l'Homme, elles consistent essentiellement à faciliter les contacts, aux familles des victimes ainsi qu'aux témoins, avec ladite commission. Les informations que peuvent apporter ces personnes peuvent être d'une précieuse utilité. La commission doit avoir accès à toutes les informations collectées susceptibles de traduire en justice les criminels. D'autant plus que HRW appelle à la mise en place de recommandations de la part de la commission pour la révision des textes de loi réglementant le recours à la force et la diffusion désormais de la culture du self-control. D.B.S.