«Le gouvernorat de Sidi Bouzid est riche par ses traditions rurales et ses ressources humaines et naturelles. Ses atouts devraient être valorisés pour les besoins d'un développement intégral et durable», déclare M. Mnaour Jemmali, directeur général de la banque nationale de gènes. Lundi 24 janvier 2011. Bureau d'emploi. Pendant que le bachelier chômeur criait sa colère contre le chef du bureau l'accusant de ne pas faire son travail, j'aperçois une affiche collée sur le mur du couloir. Elle illustre un jeune homme en costard, portant un dossier. En bas de l'affiche cette inscription : «Vous avez l'idée d'un projet ? Réalisez-là ! Nous vous soutenons !» C'est signé le ministère de l'emploi et de la formation professionnelle. Sans commentaire. Nous quittons, oncle Houssine et moi, le chef du bureau, M. Lazhar Hamdi, après l'avoir remercié de m'éclairer sur une certaine réalité de la région. Cela fait à peu près 30 ans que M. Lazhar Hamdi travaille au bureau d'emploi. Pendant toutes ces années, il n'a, apparemment, jamais croisé les bras. Connaissant parfaitement la réalité de la région, il a su identifier les obstacles qui l'empêchent de satisfaire ces milliers de demandeurs d'emploi (voir notre article paru le 30/1/11). Mais il a tenu à trouver des solutions. Réseau "Ettahadi" C'est ainsi qu'il a organisé, le 5 novembre 2010, également en tant que coordinateur du réseau, des structures d'appui régionales, et de chargé de la direction du centre d'affaires au gouvernorat de Sidi Bouzid, une rencontre intitulée «Les compétences croisées». Cette rencontre a réuni des universitaires, des cadres régionaux, des élus locaux et nationaux, des promoteurs économiques tunisiens et étrangers et des reprèsentants de la société civile. C'est le réseau «Ettahadi» ou «Défi» qui fédère pas moins de 11 structures d'appui régionales (Aneti, Centre d'affaires Bts, Bfpme, Apia, Utica, Utap, établissements universitaires, pépinières d'entreprises, Office du développement du Sud-Ouest) et son partenaire allemand GTZ, qui sont à l'origine de cette initiative. Selon notre collègue, Mongi Gharbi, qui avait couvert l'événement, cette rencontre était une première dans les annales de la région. Elle visait à réunir un maximum d'idées innovantes qui pourraient être transformées en projets. Elle avait surtout pour objectif de promouvoir l'emploi dans les créneaux porteurs et de soutenir les investisseurs. Le thème générique était le suivant : «Valeurs, richesses et axes de développement au gouvernorat de Sidi Bouzid. Un certain nombre d'idées novatrices ont été collectées. Ces idées ne demandent qu'à être concrétisées. Elles concernent notamment les industries agroalimentaires, le traitement de l'huile d'olive, la transformation de la viande animale, la collecte de lait, les dérivés du lait, les tanneries, etc. «L'agriculture biologique, l'arboriculture, les cultures maraîchères et le label des produits du terroir, tel le mouton de Sidi Bouzid, ont été longuement évoqués par les intervenants comme autant de niches à valoriser», informe M. Gharbi, dans son article du 15 novembre, intitulé «Sidi Bouzid implique ses compétences». Surtout ne pas rêver seul «Si je rêve tout seul, c'est uniquement un rêve, et si nous rêvons ensemble, c'est le début de la réalité». ce proverbe brésilien a beaucoup de sens pour Dr Yacoub Chihi, une des compétences invitées à la rencontre de novembre 2010. D'après l'universitaire, l'entrepreneur tunisien ne peut pas pérenniser son entreprise indépendamment de son environnement. S'inscrire dans un réseau peut lui apporter des idées nouvelles sur l'utilisation de nouvelles machines, l'apprentissage de nouvelles techniques de travail, la mise en place de nouvelles méthodes de production, l'invention de nouveaux produits ou articles, l'adoption de nouveaux styles d'organisation ou de direction, la structuration d'une activité ou d'un département au sein de l'entreprise, la création de nouveaux points de vente, etc. Etre à l'écoute pourrait aider à penser et repenser la spécificité concurrentielle de la région de Sidi Bouzid qui ne doit pas se limiter aux ressources agro-alimentaires. «Celles-ci ne sont d'ailleurs pas assez exploitées», affirme Yacoub Chihi. Peut-on créer un réseau local d'innovation entrepreneuriale ? Comment pourrait-on développer la culture d'innovation auprès des entrepreneurs et en faire une matière de travail pour le réseau ? Car l'innovateur est un homme de réseaux, insiste l'intervenant. Les valeurs immatérielles de la région Mais qu'est-ce qui empêche Sidi Bouzid de décoller de manière harmonieuse et structurante ? Mongi Gharbi, qui est également intervenu lors de la rencontre des compétences croisées, pour donner son point de vue en tant qu'observateur et enfant de la région, pense que depuis qu'elle a acquis son statut de gouvernorat en 1973, la ville de sidi Bouzid a mal négocié son processus de transition vers la modernité. Selon le journaliste, le découpage administratif a été décrété de manière improvisée. Ce changement de statut a contribué à greffer, de façon artificielle et précipité, un semblant d'urbanité citadine, sur des réalités rurales souvent arriérées. Mais mis à part la principale vocation de la région qui est essentiellement agricole et sylvo-pastorale et qui gagnerait d'ailleurs à être entretenue, développée et consolidée, rien n'empêche Sidi Bouzid d'explorer de nouvelles pistes de développement. Il faudrait, selon M. Gharbi, redoubler d'efforts pour défendre et promouvoir des produits du terroir dont la région regorge. Il faut œuvrer à impulser les investissements dans les industries agroalimentaires et de transformation pour les diverses variétés de productions maraîchères locales. Pourquoi ne pas développer l'artisanat de tissage et promouvoir l'économie solidaire et équitable et les mécanismes de micro-finances ? De la gestion des ressources en eau M. Gharbi propose également d'améliorer l'image de la région au niveau international, en engageant des programmes de jumelage et de coopération et en mettant à profit les mécanismes de ce que l'on appelle la coopération internationale décentralisée. «Ces mesures pourraient servir à court et à moyen terme de levier pour un véritable essor du tourisme culturel ou plus exactement de l'éco-tourisme à Sidi Bouzid», précise-t-il. Et de conclure: «Les ingrédients de catalyse sont là: la promotion et la valorisation des produits du terroir, l'artisanat, la qualité de vie, le respect de l'environnement, et les quelques vertus de la vie frugale, dépouillée, mais authentique de nos chers ancêtres les bédouins». Après avoir analysé la problématique de la gestion durable des ressources en eau, l'expert GTZ (projet de changement climatique) Helmi Sabara, a défini quelques orientations stratégiques. Il est nécessaire, selon lui, de développer à moyen et à long terme un ensemble d'initiatives en mesure de diversifier l'économie régionale et d'offrir des opportunités d'emploi et de captation de la valeur ajoutée. «La région aura besoin d'une véritable diversification de l'économie pour alléger la pression sur les ressources en eau et pour répondre à la demande d'emploi, notamment celle qui concerne la main-d'œuvre qualifiée». L'expert ajoute que le développement agricole dans la région devrait concilier la mobilisation des ressources en eau et leur durabilité. «Il n'est pas moins admis que l'arrêt de la dégradation de ces ressources est un impératif incontournable». Il ajoute, plus loin dans son intervention, que le marché mondial des produits agricoles ne cesse de s'ouvrir, ce qui met de plus en plus les producteurs de la région dans une concurrence ardue. De ce fait, affirme l'expert, l'agriculture irriguée doit acquérir les capacités nécessaires en termes de productivité et de valorisation de l'eau, à travers notamment des cultures à haute valeur ajoutée, et ce, en vue de faire face aux défis de la compétitivité. Par ailleurs, compte tenu des exigences de ce marché, les produits agricoles doivent répondre aux normes exigées sur le plan de la qualité et du respect de l'environnement. Du rôle des institutions Mohamed Tlili Hamdi de l'Institut supérieur d'administration des affaires de l'université de Sfax, fait quant à lui, le constat suivant : la région de Sidi Bouzid souffre d'une double insuffisance quantitative et qualitative au niveau des institutions. En développant ses institutions, la région peut attirer les investisseurs d'autres régions, pour transformer ses produits agricoles. Par conséquent, elle gagnerait une valeur ajoutée plus importante. De même, Sidi Bouzid a besoin de développer ses institutions éducatives (écoles de base, collèges, lycées et centres de formation professionnelle) pour maintenir sa place au niveau national dans la création de grandes compétences. Pour appuyer son propos, M. Tlili Hamdi conclut avec cette phrase dite par Napoléon lors de la séance impériale du 7 juin 1815 : «Les hommes sont impuissants pour assurer l'avenir, les institutions seules fixent les destinées des peuples».