Par Hédi HAMDI (Expert en communication) Après deux jours de grève sauvage du personnel de Tunisair Handling, qui a provoqué la pagaille dans les aéroports tunisiens, la direction générale de Tunisair a cédé aux revendications du syndicat général du transport relevant de l'UGTT en alignant le statut de son personnel sur celui de quatre de ses filiales : Tunisair Handling, Tunisair Technics et Sevenair puis, dans une prochaine étape, Tunisie Catering. Mais l'accord est allé encore plus loin puisqu'il a décidé la réintégration de ces filiales au sein même du groupe Tunisair. Si la première annonce signe la victoire des salariés qui ont réussi à obtenir gain de cause, la seconde suscite plusieurs interrogations. Tout d'abord, comment une décision d'une telle importance a-t-elle été prise avec autant de légèreté ? On a eu beau critiquer la politique de filialisation engagée par la compagnie nationale au début des années 2000, il faut toutefois admettre qu'elle s'inscrivait dans une démarche internationale engagée par la plupart des grands transporteurs aériens leur permettant de rationaliser leurs charges tout en gardant la mainmise sur leurs activités annexes. Certes, il est vrai que les conditions dans lesquelles a été menée la procédure n'a pas été totalement transparente et a permis à certains membres du clan Trabelsi de s'immiscer au cœur même du groupe public et donc siéger dans les conseils d'administration. Pour preuve, la participation directe de la compagnie Karthago Airlines, appartenant à Belhassen Trabelsi, beau-frère du président déchu, au capital de deux filiales, Tunisie Catering et ATCT. Autres questions : pourquoi avoir réintégré Tunisair Handling alors qu'il s'agissait d'une entreprise largement bénéficiaire et détenue majoritairement par Tunisair qui en récupérait les dividendes ? Sur la base de quels arguments Sevenair, qui a toujours été indépendante depuis sa création sous le nom de Tuninter en 1992, va-t-elle devenir une " direction spécialisée " au sein de Tunisair alors que sa force était justement d'être une compagnie complémentaire et qu'elle ne demandait juste qu'à changer de nom ? Et qu'en est-il de ses 300 salariés environ qui craignent, aujourd'hui, d'être marginalisés par la perte de leur autonomie ? N'était-il pas plus judicieux de saisir l'opportunité de lui donner au contraire les moyens de se reconvertir en une compagnie hybride charter-Low Cost nationale et internationale (sur le modèle de Transavia) immédiatement opérationnelle et prête à défendre le pavillon tunisien face à l'avènement de l'Open Sky ? Combien cette restructuration va-t-elle coûter au groupe Tunisair à l'heure où il doit affronter deux nouvelles crises qui s'ajoutent à ses difficultés antérieures (dont notamment la quasi-faillite de sa filiale Mauritania Airways) : une crise touristique, avec la suspension actuelle de tous les programmes charters des tour-opérateurs européens, et une crise pétrolière qui se profile à l'horizon avec une nouvelle flambée des prix qui ne sera pas sans conséquence sur les charges de Tunisair ? La compagnie nationale a-t-elle par ailleurs les arguments pour répondre à ses actionnaires qui n'ont même pas été consultés dans cette prise de décision stratégique qui marque un virage à 180° de la politique de l'entreprise ? Et comment la Bourse va-t-elle réagir à ce retour en arrière qui met en péril un modèle économique internationalement avéré ? Autant de questions que le gouvernement de transition, qui a validé la démarche, se doit d'expliquer car si, en définitive, il y a lieu de saluer les acquis sociaux obtenus par le personnel des différentes entités, et qui est une victoire supplémentaire à mettre à l'actif de la révolution du peuple, l'annulation de la filialisation risque au contraire de mettre en péril les équilibres financiers de Tunisair et menacer sa pérennité. Des mastodontes comme Sabena et autre Swissair n'avaient pas pu éviter la faillite il y a quelques années. Au vu de la tournure des choses, Tunisair pourrait laisser beaucoup de plumes dans le sillage de ses avions.