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" Je suis fidèle à un legs historique et je n'ai pas de visées politiques "
Les grandes interviews de La Presse - M. Hédi Baccouche, ancien Premier ministre
Publié dans La Presse de Tunisie le 08 - 02 - 2011


Propos recueillis par Chokri BEN NESSIR
• " J'étais constamment écouté et surveillé jusqu'au 14 janvier "
• Notre pays vit actuellement une transition démocratique inédite et historique
• La protection de la révolution doit être l'affaire de tous les Tunisiens
Hédi Baccouche. Voici un militant hors pair que les experts politiques qualifient de «dernier entrepreneur politique» sans poste mais toujours en activité. Il a été de tous les combats : lutte pour l'indépendance, édification de l'Etat moderne et le changement du 7 novembre. Cet homme qui ne change jamais son fusil d'épaule est et demeure toujours destourien. A l'heure de la révolution, il n'a pas raté ce rendez-vous avec l'histoire. Il sera l'un des premiers à prodiguer ses conseils à la nouvelle équipe en place. C'est un homme qui a tout vu, tout connu. Gloire, disgrâce et réhabilitation. Cet homme à la silhouette frêle porte sur son dos le poids de son amour pour la patrie. Agée de plus de quatre-vingts ans, il vit une retraite tranquille. Avec la révolution, l'homme qui a gardé le silence depuis plus de vingt ans, reprend du poil de la bête. Rien que son nom donne des frissons à ses rivaux. Il éclaire dans cet entretien les lecteurs de La Presse sur son passé et livre son point de vue sur la révolution et analyse les requis de la transition démocratique.
Vous avez été un acteur de premier plan dans le changement du 7 novembre. Après un silence de près de deux décennies, vous voilà de nouveau en première ligne. Dans quel état d'esprit vous trouvez-vous actuellement ? Le novembriste ou le révolutionnaire ?
Effectivement, j'ai été en première ligne le 7 novembre. J'ai un passé destourien important. J'ai participé à la résistance pendant la lutte pour la libération du pays. J'ai passé deux ans dans des camps de concentration (Tataouine, Remada, Teboursouk, Zaarour..). Après l'indépendance, j'ai participé à l'édification de l'Etat et à la consolidation des choix qui ont été faits immédiatement après l'indépendance, à savoir la modernité, les droits de la femme, la priorité au développement, l'enseignement pour tout le monde et la santé pour tous. C'était une période exaltante. Dans ces deux étapes, le leader, le chef, la référence, c'était Bourguiba.
Malheureusement, avec l'âge et parce que nous avons manqué la dynamisation de la société civile et surtout manqué  à une règle d'or de la vie politique, à savoir le respect de la durée limitée des mandats (aux USA, le nombre de mandats est limité à deux), le fait de vouloir exercer le pouvoir et d'assumer les responsabilités du chef d'Etat durant deux, trois , et même quatre mandats, est une aberration qui ne fait que développer tous les excès et prospérer la corruption et qui oblige les corrompus à vouloir garder le même chef.
Vous voulez dire que Bourguiba a duré plus qu'il ne fallait?
Absolument. Bourguiba a duré plus qu'il ne fallait. Le grand Bourguiba, le libérateur, le bâtisseur avait atteint ses limites. C'est la maladie, c'est l'influence de l'entourage et c'est la dérive. De Gaulle a dit «C'est le naufrage». Tellement attaché à Bourguiba et je n'étais pas le seul, j'ai pensé qu'il fallait qu'il y ait un changement. Je n'étais pas seulement attaché à Bourguiba, c'était le sort du pays qui nous inquiétait. La Tunisie, avec une direction chancelante soumise à toutes les influences, menacée d'interventions extérieures, me poussait vers la recherche de succession. Ben Ali était là. Grâce à l'entourage des responsables inconscients et de niveau faible, il a été désigné par Bourguiba secrétaire général du parti alors qu'il n'était pas particulièrement préparé à exercer des responsabilités politiques et encore moins des responsabilités de parti.
Il a été également nommé chef du gouvernement. Donc dans la recherche d'un changement, il était incontournable. Et comme la succession prévoit, en cas de vacance de poste, la promotion du Premier ministre aux fonctions de président de la République, Ben Ali était là au bon moment. Ma participation, mon rôle dans ce changement du 7 novembre, je les assume. C'était de faire en sorte que ce changement se fasse sur la base d'un programme. J'ai rédigé le manifeste du 7 novembre. Beaucoup de militants destouriens, beaucoup de dirigeants patriotes, qui ont été dans le parti ou qui l'ont quitté pour former de nouvelles formations politiques et pour aller dans l'opposition, étaient tous du même avis que le pays avait besoin d'une nouvelle vigueur démocratique. De faire participer tout le monde dans cette œuvre du changement, de plus de démocratie, plus d'ouverture et de non-exclusion. C'est que le peuple tunisien a évolué et n'acceptait plus ce qu'il acceptait auparavant. Il n'acceptait plus les injustices, les humiliations. Ben Ali a accepté ce programme parce que cela l'arrangeait. Cela lui permettait d'entrer dans ses nouvelles fonctions avec une certaine auréole. Les élites politiques l'ont applaudi. Et le peuple l'a adopté. Et les premiers temps du 7 novembre, on a accompli des réalisations. Je me souviens encore du temps où le leader Habib Achour, qui venait de sortir de prison, est venu directement chez moi avant de rentrer chez lui. Nous avons pris un café et c'est avec beaucoup d'émotion que nous nous sommes retrouvés parce qu'il avait passé de mauvais moments à cause de ses engagements politiques. Il a payé pour cela le prix fort. C'était un des premiers actes que le régime du 7 novembre avait accompli. J'ai aidé à la reconstitution de l'Ugtt comme l'aurait voulu Hached et comme le voulait Achour, et la Centrale syndicale a repris sa place et retrouvé sa vitalité. Ahmed Ben Salah, dont beaucoup ont contesté la politique, avait été traduit devant un tribunal pour haute trahison alors que la bonne gouvernance aurait était de le soumettre à un congrès du parti pour lui demander des comptes. La logique commandait qu'on change de politique sans chasse aux sorcières, sans faire de son cas un enjeu de politique et de pouvoir. C'était une victime. Après le 7 novembre on a mis fin à cette injustice. On a mis fin à un acte de mauvaise gouvernance et Ben Salah, réhabilité, est rentré en Tunisie. Après le 7 novembre, les partisans de Rached Ghannouchi ont commencé à sortir de l'ombre. Rached Ghannouchi, que Bourguiba voulait condamner à mort contre tous les principes du droit, a été libéré et les islamistes ont participé aux élections et ils ont eu 17% des voix. C'était une première en Tunisie à ce moment- là.
Avec les voisins, nous avons développé une politique d'union maghrébine, initiée par une politique de rapprochement avec la Libye. Nous avions développé les relations avec l'Algérie et multiplié les contacts avec le Maroc et la Mauritanie. Nous avons établi un Pacte national. Toutes les forces politiques ont été invitées, ont participé, ont signé le Pacte national. Je croyais personnellement que c'était le début d'une ère nouvelle pour le pays. Malheureusement, des considérations de pouvoir, d'argent ont fait que Ben Ali était entouré de conseillers qui, petit à petit, se sont éloignés des principes du 7 novembre. Pour vous dire toute la vérité, lui aussi était responsable de cette déchéance. Il ne faut pas accuser les conseillers car ils restent des conseillers. A la limite ils sont obligés de présenter les thèses que le chef voulait avoir.
Cependant, pour se débarrasser de moi, on m'avait reproché un discours que j'ai donné à Sfax et dans lequel j'étayais la thèse qu'il ne faut pas se soumettre aux injonctions de la Banque mondiale, qu'il y a des considérations sociales à respecter, et où je disais encore qu'il ne faut pas supprimer toutes les entreprises publiques mais qu'il faut encourager les entreprises privées. D'aucuns ont pris prétexte de ces déclarations pour mener une campagne contre moi et dire que je veux changer la politique libérale du gouvernement. Ce qui est d'ailleurs faux. Donc les conditions d'une rupture avec Ben Ali étaient réunies.
Dans un entretien avec Jeune Afrique, j'exprimais en partie la situation de malaise dans laquelle je me trouvais. Au bout de vingt mois, j'ai été écarté. Depuis, j'étais réduit au silence. Car, connaissant le régime de Ben Ali, je ne pouvais que me retirer. Aucune action politique d'opposition à l'extérieur ou à l'intérieur des structures n'était possible. Surtout les premiers temps de mon départ, personne ne pouvait me comprendre, personne ne pouvait me soutenir. Pire, en 1991, moins de deux ans après mon départ et pour m'évincer de manière définitive parce que j'avais vu un dirigeant islamiste chez moi, on a conclu que j'organisais une opposition avec la participation des islamistes et que je préparais un complot. Peut-être ils se sont appuyés sur le fait que quand j'étais responsable, il était question d'autoriser Rached Ghannouchi à créer son parti. On était inquiet à ce moment là que ce parti ne développe des thèses passéistes et rétrogrades. On a demandé à Ghannouchi de préciser la position de son mouvement vis-à-vis de la modernité et vis-à-vis de la femme. Il a publié un long article sur Essabah qui était satisfaisant, qui constituait une évolution et qui pouvait rassurer les autorités.
A mon humble avis, il n'est plus question de lui refuser la reconnaissance. Mais Ben Ali a refusé. Alors que moi, de manière claire et nette, et le ministre de l'Intérieur du moment peut l'attester, j'ai dit qu'il ne fallait pas le refuser car nous sommes engagés à reconnaître ce parti, comme tout autre parti. C'est une question de démocratie. Peut-être se sont-ils appuyés sur cette position et ont essayé de m'impliquer dans un complot. Et bien que Premier ministre, je n'étais pas à l'abri des dangers. Donc, durant vingt et un an depuis que j'étais parti, j'ai cherché à garder des relations correctes avec tout le monde. Certes, je suis resté dans le système mais sans aucune activité. J'assistais comme toute personnalité aux manifestations protocolaires, c'est vrai. Mais durant vingt et un an, j'ai attendu que Ben Ali m'appelle pour me consulter sur la politique, pour avoir mon opinion sur telle situation ou sur tel dossier et surtout sur certaines dérives que connaissait le pays. Naïvement je croyais que ça allait se faire. Cela ne s'est pas fait. Alors durant vingt et un an, et bien que je sois membre du Comité central du parti, qui s'est réuni au moins près de cinquante fois, je n'ai parlé que deux fois tout au plus et surtout de politique étrangère.
Je me disais que l'évolution du parti était telle qu'on ne pouvait pas exprimer une opinion libre et qu'on ne pouvait agir sur le cours des évènements. De même qu'à la Chambre des conseillers, je faisais au maximum une intervention de dix minutes une fois par an pour dire que je suis là. Donc je n'étais pas actif au sein du gouvernement. Je ne participais pas au gouvernement ni de près ni de loin. D'ailleurs, un jeune homme que j'ai rencontré et qui a entendu ce qu'on dit un peu de moi, a dit ce bonhomme depuis 20 ans on n'en parle pas du tout. Comment se fait-t-il qu'on en parle aujourd'hui beaucoup ? J'avais de bonnes relations compte tenu de mon passé (NDLR : il est militant depuis 48) je suis pour un peu de respect pour un peu de dignité. Je ne pouvais pas agir sur les évènements, je ne pouvais pas les changer. Qui parmi les Tunisiens opposants pouvait me soutenir à part deux ou trois têtes respectables d'opposition ferme? Qui a levé le doigt ou a osé parler ? Je tenais à garder pour moi-même une certaine continuité. Il y a des dérives que je ne pouvais corriger, alors je me suis tenu à l'écart.
Dans l'expression post-révolutionnaire de nombreuses personnalités et de certaines figures éminentes de l'ancienne classe politique, on relève que la tendance est plutôt à l'auto-innocentement. Chacun égrène les raisons de son silence, de sa passivité, voire de sa complicité. Vous sentez- vous personnellement responsable, coupable ou innocent ?
Je n'avais pas le choix. Quand on se remet dans cette situation, qui pouvait me publier une déclaration? Il ne faut pas oublier que même si les apparences disent que je suis dans le système, j'étais constamment écouté, surveillé jusqu'au 14 janvier. Ceux qui ont des contacts et peuvent avoir accès aux documents de la police peuvent le confirmer.
Notre pays vit actuellement une transition démocratqiue inédite et à proprement parler historique. Une transition inaugurée avec un cafouillage constitutionnel (passage de l'article 56 à l'article 57 en moins de 24 heures). On a ensuite annoncé à l'opinion que le délai prévu par le second paragraphe de la Constitution concernant le délai des élections ne sera pas respecté. Où se trouve actuellement la légitimité à votre avis ?
D'abord j'aimerais vous dire que la révolution, parce c'en est une, qui est partie des régions déshéritées du pays, est à la base populaire.
J'étais gouverneur à Sfax et une partie du gouvernorat de Sidi Bouzid dépendait de Sfax. Demandez à ces gens là qu'elle était mes rapports avec eux, quels sont les initiatives que nous avons prises. Leur leader Bechir Mhdhebi, une grande notabilité de la région, le chef Enneifer, un grand résistant, leurs familles, leurs enfants, peuvent vous dire l'amitié qu'ils me vouaient et l'effort que je faisais pour essayer de développer la région. Donc la révolution est partie de Mezzouna et également de Sidi Bouzid, de Kasserine et de Gafsa. C'est une révolution qui a des raisons sociales et économiques mais même à Mezzouna et à Sidi Bouzid, il y a beaucoup de cadres et de diplômés, il y a beaucoup de gens formés qui exigent, autant le pain et je dirais même plus que le pain, la liberté, la dignité, la démocratie et les droits de l'Homme. Ils ont demandé cela avec beaucoup de courage et beaucoup se sont sacrifiés pour cela et on peut dire qu'ils sont les nouveaux martyrs du pays après ceux de l'indépendance. Mais il fallait que cette révolution à la base populaire, que ses revendications soient prises en charge. Les autorités qui ont succédé à Ben Ali, d'après la Constitution ont déclaré prendre en charge ces revendications. Quand on connaît ces gens-là, on les croit. Aucun d'eux n'a une propension à la dictature ou à prendre le pouvoir et s'y maintenir. Il y a eu un cafouillage au début quand Mohamed Ghannouchi s'est trouvé face à une situation inédite. Car, quand le premier responsable du pays fuit sans laisser de recommandations, sans dire ses intentions, la première action est de prendre les commandes de la barque. Vingt quatre heures après, le droit a été rétabli. J'ai été consulté comme beaucoup d'autres personnalités et j'ai fait prévaloir la nécessité de retourner à l'article 57 qui donnait la succession au président de la Chambre des Députés. Ce qu'il faudrait éviter maintenant est que cette marche vers la démocratie qui, dans ses premiers pas, a été engagée selon la Constitution ne soit pas entravée par des considérations de pouvoir, par des règlements de comptes, par des rancunes. Le pays a besoin de l'unité de tous les hommes sensés du pays, que ce soit pendant la phase actuelle ou ceux du temps de Ben Ali. Notre pays ne peut connaître anarchie et chaos. Nous n'avons pas de ressources pétrolières pour donner à notre population les moyens de vivre convenablement. Il faut retourner le plus rapidement au travail, il faut sécuriser les entreprises étrangères et les entreprises tunisiennes pour que l'économie nationale retrouve son cours normal. Il faut reprendre notre marche vers le développement. Pour cela, tout le monde doit participer sans rejet de l'autre. La loi est là pour empêcher les excès. La politique, la compétition selon de nouvelles règles démocratiques, la transparence, va avoir lieu dans quelques mois. Le moment de la politique va arriver.
Justement qui peut nous éclairer en cette phase?
Je pense que l'appel à des personnalités du monde de l'université et du droit, l'appel à des composantes de la société civile, la participation des partis, sont en mesure de nous dire s'il y a des difficultés réelles insurmontables pour forcer les textes de la Constitution.
Si on va organiser des élections présidentielles comme le prévoit la Constitution, deux mois ne suffisent pas. Les limitations à la candidature doivent être supprimées, des amendements au Code électoral doivent être apportés. Le délai de deux mois peut ne pas être suffisant. Des décrets-lois peuvent être promulgués pour la circonstance. S'il est difficile d'organiser des élections présidentielles et préparer les élections législatives, il faut consulter le plus de gens possible et se mettre en route. Ce sont des choix qu'il faut prendre le plus tôt possible pour que les gens retournent au travail et se consacrent à l'économie et pour commencer l'organisation de ces élections dans les meilleures conditions.
Je n'ai pas de choix définitif sur les moyens juridiques de passer de la situation actuelle pour passer à l'ère démocratique que nous voulons, mais je suis certain que par la consultation, on peut trouver les mécanismes nécessaires et on peut se frayer une bonne voie.
Comment appréciez-vous l'initiative de MM.Mestiri, Ben Salah et Filali ?
Je crains que cette initiative ne soit difficilement applicable et réalisable. Nous sommes d'accord qu'il faut protéger la révolution, d'accord pour nous prémunir contre tout retournement. Cependant, est-ce le moyen le plus sûr pour la défense et la protection de la révolution? Moi je pense que la protection de la révolution doit être l'affaire de tous les Tunisiens. Pour ma part, je soutiens le gouvernement d'union nationale formé selon la Constitution. Je suis d'avis qu'il faut se rapprocher le plus possible de la Constitution.
Est-ce que vous avez des visées politiques?
De par ma situation en tant qu'ancien responsable, je ne peux qu'agir dans le sens de la révolution comme n'importe quel homme respectable. Cependant, je n'ai pas d'autorité ou de présence dans le cercle des décideurs, je ne suis pas conseiller de Ghannouchi, je n'ai pas de bureau au Premier ministère. On m'a consulté comme on a consulté d'autres et cela s'est fait dans les premiers temps. Maintenant le coup est parti. Ce n'est qu'au début que j'étais consulté comme tout le monde et j'ai émis mon opinion croyant bien faire. J'ai encouragé des rencontres. Mais je n'ai pas de structure, je n'ai pas de parti, je n'ai pas de groupement. J'ai agi en tant que personne ancien responsable qui n'a plus de responsabilités depuis 21 ans. Ceux qui pensent qu'après une retraite de 21 ans, je puisse revenir en force se trompent et c'est faux.
Mieux que ça, pour l'avenir je n'ai pas de projets. Et je ne suis pas le plus impliqué ou le plus proche. Il y a une exagération, car même si je peux aider à participer ce sera toujours de manière discrète. Certes, je suis dépositaire d'un legs historique, mais je ne suis pas en âge pour avoir des visées politiques.
Est-ce aussi valable pour le RCD, dont on vient de geler les activités et dont on attend la dissolution ?
C'est surtout vrai pour le RCD. Mon parti à moi c'est le Neo-Destour. Le RCD a été construit pour servir un homme. Il y a mis des opportunistes, des gens qui n'ont pas le souci de la patrie mais qui cherchent à s'enrichir. Mais il y a encore au RCD des gens qui aiment leur pays et qui sont propres. Ceux-là et des dizaines de destouriens authentiques marginalisés exclus peuvent se retrouver dans des structures démocratiques pour défendre les valeurs du pays, pour défendre les acquis de la révolution que le peuple a menée pour sa libération. Ils peuvent se serrer les coudes pour un nouveau départ, pour défendre les acquis de la modernité et pour donner à Bourguiba, le libérateur et le bâtisseur, la place de référence qu'il mérite. Il y a beaucoup d'initiatives pour lancer une nouvelle structure. Je suis quelquefois informé, mais elles n'ont pas encore abouti. Mais je pense que ça ne presse pas. Mais dans tous les cas de figure, même si je soutenais une initiative dans ce sens-là, je ne serais pas responsable, encore moins dirigeant.
Avez-vous joué un rôle dans la désignation des nouveaux membres du corps des gouverneurs ?
J'ai appris ce mouvement comme tout le monde. Je ne connais personne parmi les gens nommés. Mieux encore, je n'ai pas été consulté à ce sujet.
Le retour quelque peu triomphal de Rached Ghannouchi et l'accueil qu'on lui a réservé à l'aéroport de Tunis-Carthage inquiètent un peu les autres forces politiques du pays. Ils y voient déjà une démonstration de force de la part des barbus. Doit-on avoir peur des islamistes ?
Il est normal qu'un enfant du pays qui rentre chez lui soit accueilli par beaucoup de Tunisiens. Le contraire serait étonnant. Cependant, les propos tenus par Rached Ghannouchi et ses partisans dans la phase actuelle sont plutôt rassurants. Et il ne faut pas oublier que si on veut ouvrir une ère réellement démocratique, il n'y a pas de raison d'empêcher une force politique quelconque quelles que soient ses références politiques de s'organiser et de défendre ses idées. Les excès d'un parti, les mauvais choix d'un parti, c'est le jeu politique qui peut les réduire, les limiter. Dans une démocratie réelle, une force politique équilibre une autre force. Moi je ne fais pas de procès d'intention. Je ne suis pas islamiste mais je discute avec les islamistes, avec les progressistes, avec les nationalistes, les baâthistes. J'ai toujours été partisan du dialogue. Il faut dialoguer et permettre à tout le monde de s'organiser, aider à un jeu de lutte entre les partis et la compétition politique. Le peuple tunisien est développé et nous avons beaucoup de jeunes qui trouveront la bonne thèse politique.
Certains vous accusent d'avoir contribué à l'enfermement à vie de Bourguiba. Est-ce que cette décision d'isolement de Bourguiba était de votre ressort ou dépendait uniquement de Ben Ali? A-t-il été maltraité durant ses derniers jours ?
Bourguiba à ma connaissance a logé à Monastir dans la résidence du gouverneur. J'ai toujours aimé lui rendre visite par attachement. Mais le sort de Bourguiba était décidé et tenu par Ben Ali. Je ne pense pas qu'il ait été maltraité, qu'il ait manqué de quoi que ce soit. Mais il est vrai qu'il n'était pas en âge de sortir tous les jours, de faire des contacts. Mais on peut dire aussi que sa liberté était limitée. Mais dire qu'il a été maltraité, je ne le pense pas — au moment où j'étais en responsabilité — et de toute façon son dossier ne relevait pas du tout de moi. Je n'avais pas d'autorité ou accès à ce dossier. Cependant, j'ai eu l'occasion de parler de Bourguiba à plusieurs occasions. Si vous revenez à mes discours, à toutes les conférences sur le Mouvement national, dans des colloques divers, j'ai toujours fait l'éloge de Bourguiba, mis en relief sa participation à la libération de la Tunisie, le développement de la Tunisie. J'ai toujours pensé que Bourguiba c'est l'Atatürk de la Tunisie et même plus qu'Atatürk pour la Tunisie et je ne l'ai jamais caché. Donc si je savais qu'il était maltraité, je ne l'aurais pas toléré et jamais je ne me serais tu.
M. Mohammed Ghannouchi, qui a exercé les fonctions de Premier ministre plus de dix ans auprès de Ben Ali, a déclaré qu'il n'avait pas l'écho nécessaire auprès de lui et qu'il n'avait aucun pouvoir pour agir sur le sens des évènements. Vous qui avez été Premier ministre à l'aube du changement du 7 novembre, est-ce que vous confirmez qu'un Premier ministre auprès de Ben Ali n'a aucun pouvoir ?
Oui. Ni le Premier ministre, ni d'autres ministres n'avaient les coudées franches. Le régime que Ben Ali avait imposé à la Tunisie était un régime centralisateur, personnalisé. Il y avait un gouvernement à Carthage et un gouvernement à Tunis. C'est pour cela qu'il faut plus que jamais une bonne Constitution et des lois. Il faut aussi développer la société civile et les partis pour qu'on ne revienne pas à ce centralisme qui est dangereux pour le pays.
La nouvelle formation du gouvernement d'union nationale comporte, selon certains analystes, des anomalies. Ils font allusion à l'absence d'homme de couleur dans ce gouvernement, à l'absence d'un représentant des minorités tels que les juifs par exemple et encore au statut encore réducteur de la femme au sein de ce gouvernement.
Etes-vous d'accord ?
Il faut dire que c'est un gouvernement provisoire. Qu'il n'y ait pas de juif par exemple comme du temps de Bourguiba, c'est dû au départ massif des juifs de Tunisie. Mais il est toujours bon de considérer les juifs tunisiens comme des Tunisiens et de leur permettre de participer à la construction de la Tunisie comme tous les Tunisiens. La Tunisie appartient à tous les citoyens quelles que soient leur religion, leur langue ou leurs origines. Le drapeau tunisien et la Constitution feront leur unité. Mais je pense que la véritable compétition, c'est après. La véritable représentativité, c'est après. Les véritables valeurs, c'est après. Ce sont des gens qui vont nous aider à faire le passage. Il ne faut pas trop juger un gouvernement provisoire.
En se projetant au-delà de la transition démocratique et à la veille des élections, pouvez-vous esquisser la configuration de l'échiquier politique tunisien de demain ?
D'abord il faut que le paysage politique de demain résulte d'une compétition transparente et libre entre tous les acteurs politiques. Cette compétition doit se faire selon la loi. Pas de confusion entre Etat et parti. Mais aussi il faut veiller à l'égalité des chances et à ce que les médias soient au service de tous et de la vérité. Pour les destouriens, je pense qu'ils peuvent représenter un pourcentage assez important des électeurs comme ils peuvent quitter le pouvoir et entrer dans l'opposition. Je pense que c'est une éventualité qu'on peut envisager.


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