Par Slaheddine GRICHI Hier, le boulevard 9-Avril était bloqué par des manifestants de différents secteurs du ministère de l'Education, ainsi que par des postulants à des postes d'enseignants. Leurs doléances sont légitimes et certainement justifiables, mais avaient-ils le droit d'exiger des réponses — positives — sur-le-champ, et surtout d'empêcher des milliers de leurs concitoyens de vaquer à leurs occupations ? Certainement pas, encore moins de s'en prendre à ces deux chauffeurs de taxi et de bus qui ont «osé» descendre demander qu'on leur fraye un chemin pour passer. Un exemple parmi tant d'autres, parfois beaucoup plus graves, qui montrent que la Révolution est devenue le prétexte à tous les «forcings», à tous les dépassements…à tous les abus. Quelques centaines de personnes, dont sûrement des manipulés et des manipulateurs, s'organisent pour rejeter, «au nom de dizaines — voire de centaines — de milliers d'habitants», la désignation de fonctionnaires de l'Etat (gouverneurs, chefs de poste ou de district de police…). Les fonctionnaires de ministères, d'établissements publics et privés qui exigent l'amélioration immédiate de leur situation ou le départ de tel responsable ou de tel autre, usant jusqu'à la rupture du droit — désormais établi — de manifester et de faire grève, etc. Si dans plusieurs cas, il est clair que ces Tunisiens sont noyautés par des gens et des parties dont l'intérêt est que la confusion perdure et le chaos s'installe, n'est-il pas du rôle des vrais représentants de la société civile, des hommes politiques réellement soucieux de l'avenir de la Tunisie et de sa démocratie naissante, de se mobiliser et de trouver les moyens de leur rappeler qu'ils sont en train de tout hypothéquer : l'économie, la sécurité, les équilibres sociaux, la possibilité de création de nouveaux emplois (le taux de chômage «forcé» a grimpé, à cause de la fermeture, momentanée ou définitive, de plusieurs entreprises) et de développement des régions mal nanties ? Révolution ne veut pas dire pagaille. Egalité et liberté ne veulent pas dire ce désordre qui se généralise sur nos routes, dans nos places et au sein de nos établissements. Elles ne donnent pas non plus le droit de mettre en péril le pays ni de menacer la sécurité de ses habitants. Par reconnaissance et par devoir envers ceux qui ont payé de leur vie l'aspiration au travail et à la dignité, les salariés tunisiens ne seraient-ils donc pas capables de troquer momentanément leurs revendications — même légitimes — d'augmentation contre des emplois nouveaux pour ceux qui n'ont pas du tout de salaire ? D'autant que la situation, il faut le dire et le marteler, inquiète, désormais, les investisseurs locaux et étrangers. L'Union européenne, notre principal partenaire, est passée en l'espace de deux semaines de la confiance à la méfiance à l'égard de notre économie et de notre révolution. Le gouvernement d'union nationale a une grande responsabilité vis-à-vis de la Tunisie et de l'histoire. Que nos ministres cessent de défiler (sauf pour les grands événements) sur les plateaux de télévision, mettent en veilleuse leurs velléités politiques et de propagande et œuvrent, sur le terrain, à trouver une issue à la situation périlleuse que connaît le pays. C'est en équipe soudée qui met l'intérêt de la Tunisie et des Tunisiens au-dessus de tout qu'ils auront des chances de relever cet immense défi. Ce n'est pas en voulant «plaire» à la rue et en lui cédant qu'on redore son blason, car au fond, le peuple, lui, désire désormais un gouvernement capable de dire avec l'aura des justes‑: «Non, la révolution, ce n'est pas cela, ne serait-ce que pour la mémoire de ceux qui y ont péri».