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La censure et les chemins glissants
L'entretien du lundi : Ezzeddine Ganoun, metteur en scène
Publié dans La Presse de Tunisie le 14 - 02 - 2011

Il est parti en France bien avant le 14 janvier 2011, pour se soigner. Les événements déclencheurs de la révolution, il les a vécus à travers la télévision comme les milliers de Tunisiens qui vivent à l'étranger…Ce qui s'est passé sonne encore dans ses consonnes…Et en évoquant ce qui se passe aujourd'hui, ses yeux quiets virent, en un clignement, à l'orage violent. Ezzeddine Ganoun, le metteur en scène du théâtre El Hamra, n'aime pas cet opportunisme qui revient à l'assaut et cette manière qu'ont certains d'épancher le linge sale du secteur … En convalescence à Tunis, chez lui, à la maison, il a choisi, peut-être pour se détendre, de noircir les pages de son carnet, avec des notes et des contre-notes, intitulées L'autocensure, l'ennemie de la création… Pour savoir quel sens il donne à ce titre, nous avons sollicité un entretien. L'artiste a dû remonter le temps, parcourir les chemins glissants de sa carrière, avec, dans le regard, cette mélancolie qui a nourri ses plus beaux spectacles.
Comment avez-vous vécu les évènements de ce mois de janvier 2011 ?
Cela m'a curieusement rappelé le fameux «Jeudi noir» de janvier 78. J'étais étudiant en France, et avec mes amis du théâtre, on était en pleine création de la pièce Essafka (La traite). En découvrant ce qui se passe en Tunisie, nous avons tout de suite décidé de rentrer au pays pour soutenir la révolution. Je me rappelle comme si c'était hier, dans le train de Bruxelles à Louvain, Mohamed B'har avait composé sa chanson intitulée «Saïd le cireur»…
Et qu'est-ce qui s'est passé après ?
C'était la désillusion. Nous sommes retournés à Paris quelques jours après le jeudi noir, solitaires, déçus, mais inspirés…Trente ans après, la révolution a enfin eu lieu. J'étais malheureusement encore une fois à Paris, mais pas pour les mêmes raisons…
Où vous en êtes aujourd'hui ?
A réfléchir, à rêver encore et à imaginer ce que pourrait être demain. La révolution ne fait que commencer.
D'où vient ce besoin de remonter le temps et de revivre les chemins glissants de votre carrière d'artiste-metteur en scène ?
Je ne sais pas exactement pourquoi j'ai senti le besoin de scribouiller dans mon carnet et comment j'ai entamé mon texte avec cette phrase L'autocensure, l'ennemie de la création…
Et si on faisait ce chemin ensemble ? Commençons par le commencement : La terre battue votre première pièce au théâtre amateur, qu'évoque-t-elle en vous?
C'est très curieux, comme par hasard, La terre battue est la première pièce à laquelle j'ai pensé en écrivant dans ce petit carnet…
Que représente cette pièce pour vous?
Elle représente l'adolescence artistique et politique. A l'époque, on n'avait que 20 ans et on commençait déjà à déjouer la censure, tandis que d'autres se vantaient d'être censurés...
En quoi c'était important pour vous de déjouer la censure ?
Il fallait absolument arriver devant le public et communiquer, à travers nos pièces, notre position, nos idées et nos engagements. C'était ça le plus important. On était fiers d'échapper à la censure. On se disait à chaque fois : Ça y est, on les a eus !.
Et quel était votre propos à l'époque?
Tout comme dans Masset al insane (Le drame de l'homme), la pièce réalisée dans le cadre du théâtre scolaire. On s'accrochait derrière la cause de la nation arabe pour évoquer les problèmes d'injustice, de la liberté de l'expression et de l'exploitation de l'homme par l'homme… La terre battue, mise en scène d'après un texte de l'Algérien Boujemâa Bouhadda, parlait de l'exode rural, du statut de la femme dans la société arabe, du pouvoir et des abus de pouvoir, à travers deux personnages principaux : Tchek et Contumax. L'écriture de Bouhadda répondait à nos attentes et correspondait parfaitement à la réalité tunisienne de l'époque.
Aviez-vous votre propre troupe ?
Absolument pas. Nous avons travaillé sous la tutelle d'Ezzitouna Sport, la fameuse équipe de handball et d'athlétisme qui a bien voulu nous prêter également ses locaux pour répéter.
Quelles ont été vos découvertes sur le plan artistique ?
Dans La terre battue, nous avons commencé à découvrir l'écriture épique, parabolique, la métaphore et l'écriture brechtienne. C'était le premier flirt avec l'art et la politique au service d'un idéal. On cherchait la manière de nous exprimer sans tomber dans le discours direct et le théâtre d'agitation très répandus à l'époque au CDU (centre dramatique universitaire) et au théâtre scolaire.
Et c'était précisément quelle époque ?
C'était le début des années 70. Très peu d'hommes de théâtre avaient cette subtilité artistique. Je me rappelle que Nourreddine Matmati qui était animateur au théâtre scolaire, avait, lui par contre, cette veine artistique différente.
Mais le fait de déjouer la censure n'est-elle pas une forme d'autocensure ?
Ne pas tomber dans le piège de la censure était plutôt un acte de militantisme. On discutait jusqu'au matin de ce qu'on devait faire et du comment on pouvait le faire. On cherchait le moyen le plus subtil, le plus pernicieux, sans faire de concessions majeures. Mais malgré les débats houleux, on était tous d'accord qu'il fallait avant tout trouver la manière de passer le message et la manière ne pouvait pas faire fi de l'artistique.
Plus tard, et après avoir fait des études en France, vous êtes revenus avec La traite. Comment qualifiez-vous cette étape ?
C'était une étape très importante, marquée par une certaine conscience du social. On était tombés amoureux du théâtre documentaire. On sentait le besoin d'être plus proches de la réalité. On avait fait un long travail d'investigation et de documentation sur l'immigration et les émigrés en France. La pièce dénonçait les limites de la politique de l'immigration et la traite de la main-d'œuvre maghrébine, à travers un personnage principal du prolétariat qui rêve d'évasion et de liberté et qui finit par perdre son passeport, son unique moyen d'accéder à une vie meilleure…Sur scène, il y avait Fethi Akkari, Mustapha Chérif et Majid Jellouli.
Etait-ce le groupe du Théâtre organique ?
En effet, avec Lassâd Houassine qui est resté en France. Nous avons, par la suite fait l'expérience du théâtre à domicile, avec un texte de Houassine intitulé Contes-moi, racontes-moi, réadapté plus tard pour une pièce de théâtre conventionnel.
Vers 1981, vous avez mis en scène Une nuit perdue qui revient. Contrairement à La traite, le milieu sur lequel vous avez travaillé est un milieu féminin. Dans quel but ?
Dans le but de parler du quotidien qui véhicule une position et une attitude politiques. Il s'agissait de deux sœurs, l'une exerçait son pouvoir sur l'autre. On était en plein dans le social et l'humain. A travers ces deux femmes, on a essayé de mettre le doigt sur certains maux de la société. Au sein même des damnés, il y a oppresseurs et opprimés. On voulait surtout poser la question : jusqu'à quel point la femme est-elle libre, comme le prétendait le discours politique ?
Quelle était l'évolution sur le plan artistique?
C'était l'affirmation d'un travail sur la gestuelle qui s'est confirmé beaucoup plus tard dans Otages.
Et la censure dans tout çà ?
On y a encore échappé. Mais on a été pris au piège quelques années après avec Contes-moi, racontes-moi.
A quoi avez-vous touché de «censurable» ?
A ce que la commission de censure a appelé «la morale». Il s'agissait de l'adaptation d'un fait divers. Une femme de ménage a été violée, puis assassinée par une bande de délinquants. Son fils reconstitue le meurtre, pour comprendre ou pour pouvoir se venger…On n'a pourtant pas forcé sur le viol, il était suggéré. La commission a trouvé le moyen de nous accuser d'atteinte à la morale. On avait, selon elle, touché à un sujet tabou qu'est «la mère».
La mère ? Même si elle est victime, elle est taboue ?
Il semblait que oui. On avait découvert, à l'époque, que la morale était plus forte que la politique. J'ai beau essayé de convaincre l'administration en leur donnant l'exemple de l'inceste dans Oedipe Roi qui s'est jouée pas mal de fois en Tunisie. Pour unique réponse, ils m'ont dit Ça ce n'est pas nous, c'est les Grecs !. Finalement, c'est plus facile de déjouer la politique que l'ordre moral et religieux.
Ne pensez-vous pas que la censure dépend des membres de la commission, de leurs humeurs et de leurs mentalités ?
Peut-être. L'exemple de La traite est unique. On a été sauvés par un membre de la commission considéré comme le plus censeur des censeurs. Il a réussi à convaincre ses collègues en leur disant Ça passe ou ça passe pas, laissez le public en juger.
En même temps que cette expérience malheureuse de la censure de Contes-moi, racontes-moi, vous aviez quand même réalisé un rêve, celui d'avoir votre propre espace de création. En aviez- vous autant besoin?
Mais bien entendu. On avait besoin d'un abri, d'un lieu pour bercer nos illusions. Il n'y avait pas mieux que de réouvrir Al Hamra, cette salle de cinéma qui nous a tant fait rêver. On voulait inaugurer l'espace avec cette pièce. On avait créé un couloir, un dispositif scénique qui divisait la scène en deux lieux de fiction…
Vers la fin des années 80 vous avez mis en scène Eddalia . Dans cette pièce, avez-vous tenu compte de la morale ?
On a un peu flirté avec la morale. Cela traitait des escroqueries immobilières et des nouveaux riches, à travers l'histoire d'une liaison extraconjugale.
Dans cette pièce, il y avait même des passages érotiques. Comment cela se fait qu'elle n'a pas été censurée à son tour ?
Je ne sais pas. C'est comme ça. Je ne pense pas que la censure a des critères. C'est très complexe et très vicieux…C'est comme un jeu de cache-cache pour l'artiste. Ou il prend tout sur la gueule ou il esquive pour avancer.
Aux années 90, dans Gamratah et Tyour ellil vous avez focalisé sur le statut de l'artiste. Etait-ce une remise en question de vous-mêmes?
Quelque part, peut-être dans Gamratah, oui. Cette pièce parlait de la désillusion d'un artiste. Tyour ellil ,qui en est la continuité, raconte l'histoire d'une chanteuse non voyante, exploitée par un violoniste. Là, je défends le statut de l'artiste par rapport à la société, à la famille et au pouvoir.
Comment avez-vous agi par rapport à la censure ?
Avec cette même lutte intérieure avec l'autocensure…
Ensuite, il ya eu Nwassi et Les feuilles mortes. Des personnages présents absents et des pions…Que vouliez-vous dire ?
Je voulais parler de cette force occulte qui gère le monde. De pions téléguidés par un pouvoir central, de sbires qui agissent et qui ont des hommes de main, du déchirement du monde arabe, d'une jeunesse castrée et qui aspire pourtant à la liberté…
Etait-ce le retour au politique ?
Mais tout est politique. Ce sont les angles qui sont différents.
Quel était l'angle d' Otages?
Otages était conjoncturelle. La montée de l'extrémisme battait son plein.
Quelle sorte d'extrémisme ?
L'extrémisme de tous bords et de tous genres, religieux, révolutionnaire….La pièce condamnait l'extrémisme. Et traitait du terrorisme avec certaines nuances. Car le statut du terroriste change d'une cause à une autre. En écrivant, on était sur un fil. Il fallait faire de notre mieux pour être objectifs.
Dans The end, votre toute dernière création, vous avez changé de ton. Etait-ce dû à une maturité politique ?
C'était peut-être dû à une maturité tout court. Dans ce spectacle, nous avons rendu hommage à la vie, en nous basant sur le thème de la mort. Le politique y est toujours, car nous évoquons le monde et ses contradictions, ses guerres et ses conflits, et les hommes qui tuent les hommes…
Et où en étaient la morale et le religieux dans cette pièce ?
Dans un long texte sur le rituel de la mort.
Vous avez donc flirté encore une fois avec l'interdit ?
Un peu. Nous avons réussi à déranger, sans choquer.
De qui parlez-vous ? De la commission ou du public ?
Des deux à la fois. Du public et de cette commission qui veille sur la morale et sur le bon goût du public.
Pensez-vous que la commission d'orientation ou de «censure», comme l'appelle le milieu, devrait encore exister ?
C'est le dernier de mes soucis. De toute façon, la censure continuera à exister dans les esprits. N'oubliez pas qu'il y a également la censure économique. On continuera à donner des subventions à certains et pas à d'autres.
Vous voulez dire que même après la révolution, rien ne va changer ?
Surtout après la révolution. Cette pseudo-liberté qu'on est en train d'exercer actuellement dans la cacophonie générale n'inaugure rien de bon. Cela dit, ce qui se passe est tout à fait normal après de très longues années de frustration.
Désormais, quelle sorte de censure allez-vous déjouer?
Ce qu'il faut éviter, c'est la facilité.
Vous allez encore vous autocensurer ?
Oui, je vais m'autocensurer. Je ne vais pas me laisser emporter par l'enthousiasme du moment. Je vais continuer à essayer de sortir des sentiers battus. Je vais éviter de tomber dans le rabâché, le déjà dit et le déjà fait. Je dois encore trouver la meilleure manière de faire les choses, pour que l'élan révolutionnaire continue. Il y aura toujours des lignes rouges à ne pas franchir, et c'est à nous les artistes de les franchir quand même et de placer la barre toujours plus haut. Notre statut de contestataires ne changera pas.


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