"Un gars en civil descend d'une voiture de flic, un sachet à la main. Il en sort du papier à rouler et de la drogue et les pose par terre..." Présent au moment des faits, le Dr Sami Ben Sassi, gynécologue accoucheur de profession, a pris quartier, à l'hôpital Aziza Othmana,offrant son aide bénévolement durant le séjour de la "caravane de la liberté". Voici son témoignage: "On était en pleine action dans le quartier médical de fortune qu'on avait préparé dès le lendemain de l'arrivée des gens de l'intérieur à la place du gouvernement quand une rumeur de retrait de l'armée et de l'arrivée imminente des Bop a tout à coup circulé! Un mouvement de panique a alors démarré puis une demi-heure plus tard, des lacrymogènes ont étés tirés sur la place: Etouffement de toute la population sur place et de nous tous, toute l'équipe de bénévoles, chacun de nous s'est alors mis à courir pour se protéger dans tous les sens, en tirant derrière lui comme il peut, les sacs de poubelles remplis des médicaments récoltés avec les dons des anonymes de tous bords. Certains médecins étaient portés évanouis sur les épaules, moi-même je traînais mon sac de médicaments par terre, en étouffant — j'ai un asthme allergique — je n'arrivais plus à ouvrir les yeux pour avancer, brûlé dans le visage et la gorge par les gaz, jusqu'à arriver à l'hôpital Aziza Othmana grâce à l'aide de quelqu'un qui m'a traîné par terre à l'intérieur, à moitié conscient. Après ces moments de panique, après nous être lavés et calmés, on est allé rassembler les populations réfugiées dans l'hôpital pour les cacher, car le portail des urgences maternité était en train d'être forcé par une horde de BOP impressionnants d'agressivité, habillés à la "Matrix"... ils ont pu prendre avec eux deux personnes, mais pas les autres car tous cachés en haut en silence...Une heure après, on a pu aller négocier avec les militaires du côté du portail principal de l'hôpital, pour évacuer sous leur protection, toutes les personnes réfugiées, mais la police est intervenue et a foutu la zizanie par son agressivité verbale et gestuelle, on a re-réussi grâce à tous à retrouver le calme dans une ambiance de tension très élevée. On a négocié grâce à la présence d'un avocat qui était alors arrivé de dehors à emmener avec la protection de toutes les blouses blanches présentes, une partie des gens à "la maison de l'avocat" en face du palais de la justice pour qu'ils y passent la nuit, et de laisser accompagner une autre partie qui voulait partir immédiatement vers Bab Alioua où il y avait les bus vers le sud du pays pour rentrer, sous la protection des militaires. Notre action a réussi tant bien que mal, on les a accompagnés en faisant une chaîne protectrice main dans la main, et les avocats étaient nombreux pour les y accueillir.Sur le chemin du retour vers la Kasbah, on a appris qu'il y avait des personnes matraquées par centaines à la station de Bab Alioua! Nous, les cinq médecins bénévoles Seniors, avons alors récupéré nos voitures à Bab Ménara et on est parti à Bab Alioua. On y a alors retrouvé les personnes qu'on avait laissées sous la protection des militaires devant l'hôpital: ils avaient été "protégés par les militaires jusqu'au bas de la Kasbah, puis lâchés tous seuls, ils avaient alors été pris en charge par les camions de BOP féroces, qui les ont massacrés: aucun mort, mais une vingtaine de fractures simples ou doubles ou triples à part les blessures profondes, les hématomes, etc. Un Samu est arrivé, a pris en charge quelques cas des plus urgents, mais dépassé, (il y avait une seule unité malgré les appels de chacun de nous les médecins présents et le passage de l'info aux médias à disposition personnelle). La SNTRI a mis en place des bus gratuits pour plusieurs destinations et on a distribué tout l'argent récolté jusque-là à une grande partie des gens, tous démunis, plusieurs centaines de dinars...Certains d'entre nous ont hébergé chez eux quelques personnes qui habitaient trop loin pour être acheminées immédiatement, surtout les plus jeunes». Expérience troublante Le médecin évoque, également, une expérience plus que troublante mais qui est très significative. Selon lui, Mohamed BS, un jeune bénévole de 19 ans, fils de l'un des médecins de l'équipe, a assisté à une scène des plus graves. Le jeune Mohamed explique (sur Facebook) qu'après les tirs des bombes lacrymogène sur une foule composée des manifestants de l'intérieur, mais également des familles, des personnes âgées, des enfants ainsi que des médecins bénévoles .. Avec des collègues à lui, il a réussi à s'enfuir par une petite ruelle les yeux complétement brûlés par le gaz et choqué par ce qu'on venait de voir. Dix minutes après, de retour à la Kasbah pour voir les blessés, des policiers tirent dans sa direction des bombes lacrymogènes (alors qu'il portait une blouse blanche et ne représentait aucune menace), ce qui lui fait quasiment perdre conscience. Un soldat vient alors à son aide et lui couvre le visage. Une fois ressaisi, il se dirige, avec une collègue bénévole (ils étaient alors les premiers civils à la Kasbah), vers l'infirmerie pour y récupérer les médicaments. Et c'est là qu'il s'est heurté à une scène des plus graves: " J'y trouve alors des pilleurs que les policiers ont laissé accéder à la Kasbah (il me semble que c'était des policiers en civil), qui prenaient toutes les affaires des gens du Sud ainsi que nourriture, médicaments .. Quelques minutes plus tard alors que je portais les médicaments jusqu'à l'hôpital Aziza Othmana, je me retourne et vois un gars qui descend d'une voiture de flic en civil un sachet à la main et qui en sort du papier à rouler et de la drogue et qui pose ça par terre, ainsi que quelques biscuits, se lève et dit " Tawa da5lou el sa7afa" (faites entrer les journalistes"). Il a ramené la presse pour filmer ce qu'ils avaient, soi-disant, trouvé". Avance le jeune Mohamed. "Ce qui c'est passé aujourd'hui est très grave! Qui en est responsable ? Qui gouverne vraiment ? Est-ce cela leur nouveau gouvernement ? Leur nouvelle politique ?" note encore ce dernier. "Mon avis personnel, pour le moment, je pourrais me tromper...le gouvernement actuel d'union nationale est en grand danger: beaucoup voudraient que ça ne marche pas car il servirait à ce qu'on avance vers une vraie construction, mettant en jeu les intérêts de beaucoup de personnes corrompues de l'ancien régime. Je répète : ceci n'est que mon avis personnel ainsi que celui d'autres personnes autour de moi, j'espère qu'on ne se trompe pas." confie Dr Sami Ben Sassi. Le lendemain, 29 janvier 2010, les abus policiers se poursuivent, prenant cette fois, de jeunes adolescents (lycéens peut- être) pour cible, les pourchassant, les étouffant à coup de gaz et les "matraquant" avec violence et hargne. Des personnes qui ont filmé les faits se sont, même, fait agresser et menacer par la suite, par une horde de flics, devinez quoi? en état d'ébriété (ENCORE!). Impressions de déjà vu... (A suivre)