De notre correspondant à Bruxelles Fathi B'CHIR Qui a bien poussé des milliers de jeunes Tunisiens à s'embarquer au péril de leurs vies pour une illusoire fortune en Europe ? Le phénomène n'est pas nouveau mais son ampleur intrigue et amène, en Europe, en particulier dans les couloirs des institutions européennes, à se demander s'il s'agit de réels réfractaires à la Tunisie nouvelle ou de simples actes d'opportunisme profitant d'un vide dans les dispositifs de sécurité... Certains évoquent même la complicité d'anciens policiers aux connexions politiques douteuses. Manipulation‑? Des échos venus de Tunis ont en tout cas attiré l'attention à Bruxelles comme à Strasbourg où se trouve réuni en session mensuelle le Parlement européen, laissant entendre que des "intérêts libyens" associés à des "ultras" du RCD ont pu encourager cet exode subit pour jeter le trouble dans le pays et faire douter ses amis, investisseurs, touristes, etc. La commissaire en charge des affaires intérieures, Cécilia Malmström, a clairement indiqué, mardi 15 février à Strasbourg, qu'à ce stade, 27 personnes avaient été arrêtées pour trafic d'êtres humains, sans préciser si c'est en Italie ou en Tunisie. Ces flux représentent en tout cas un record pour le sud de l'Italie. Selon les services de Frontex, l'agence commune européenne de gestion des frontières, les 5.000 migrants en quelques jours rejoignent le pic enregistré en 2008 : 7.200 migrants mais cela sur toute une année. Le fait inquiète, car après la Tunisie verra-t-on, comme l'ont affirmé plusieurs eurodéputés, un afflux d'Egyptiens ou d'ailleurs. La situation en deviendrait ingérable. Pour l'heure, Mme Malmström s'est engagée à Strasbourg à aider l'Italie, notamment via une enveloppe financière (100 millions d'euros réclamés par Rome) qui servira à l'aider à faire face "au logement, aux dépenses de santé ainsi qu'aux frais juridiques" des migrants débarqués à Lampedusa. Le plus curieux est que plusieurs parmi eux ont annoncé leur intention de déposer des demandes d'asile. Fuient-ils la Tunisie démocratique ou ont-ils des raisons de s'inquiéter, anciens du RCD, prisonniers de droit commun sortis de prison‑? La question demeure ouverte. La commissaire a également appelé l'UE à aider la Tunisie, en ciblant davantage son aide sur la création d'emplois sur place et l'eurodéputé maltais Simon Busuttil a ainsi demandé un "véritable Plan Marshall" pour la Tunisie. Ce point de vue rejoint celui de OMI (Organisation mondiale d'immigration) qui recommande à l'UE d'agir en amont. Intervenir contre le chômage dans les régions les plus démunies, qui correspondent souvent aux régions d'origine des migrants, par la création d'opportunités locales pour la main-d'œuvre qualifiée et non qualifiée. Elle suggère d'impliquer la diaspora tunisienne (les expatriés) dans le développement local de la Tunisie, par les investissements productifs et le retour de nationaux qualifiés. Pier Antonio Panzeri, socialiste italien et président du la délégation pour la coopération avec le Maghreb, appelle à une "action qui repose sur une nouvelle politique de développement économique, financière et sociale, sur une politique d'immigration intelligente et un soutien efficace pour la réforme économique et le processus de transition en cours" en Tunisie. "Ce n'est qu'ainsi que nous serons en mesure d'aborder et de résoudre les problèmes auxquels ils sont confrontés en Italie et en Europe. Il est maintenant temps de passer des paroles aux actes." L'OMI demande aussi à offrir des formations aux fonctionnaires publics sur les droits des migrants et de la coopération technique pour le contrôle et la gestion des frontières et de fournir de l'assistance technique pour l'élaboration de la législation tunisienne contre la traite des êtres humains. Le plus urgent pour l'organisation est de mettre en œuvre une évaluation et une réponse rapides aux besoins humanitaires émergents suite aux événements de fin 2010/janvier 2011. Dans le débat à Strasbourg, l'eurodéputé socialiste italien Rosario Crocetta s'est trouvé désolé que le débat soit détourné. Il voudrait appeler cette discussion d'une autre manière‑: " Notre débat devait permettre d'affirmer l'appui de la Tunisie et d'autres pays qui luttent contre les dictatures et les droits de l'Homme. Au lieu de cela, nous nous préoccupons d'une urgence humanitaire". Il a observé : "Nous devons être conscients que le moment n'est pas de savoir comment bloquer" ces migrants dont le nombre pose un grand problème à l'Italie. "Nous traitons avec des gens qui ont demandé à se battre pour la démocratie. Nous devons être en mesure de les accepter, d'élargir le régime des visas".