On l'appelle la grande muette, peut être est-ce vrai, mais le 18 janvier 2011, elle a clamé haut et fort qu'elle est là pour garantir la pérennité, la sécurité et la souveraineté du peuple tunisien. Nuit infernale qui aurait pu faire basculer notre chère Tunisie dans l'anarchie la plus sanglante. Quelle ne fut ma surprise, en entendant les premiers coups de feu. Je n'ai pas pu résister à un violent sentiment de curiosité malsaine, voulant sortir à tout prix et voir ce qui se passait, et ce, malgré les supplications de ma famille. Sitôt dehors, un spectacle hallucinant s'offrait à mes yeux horrifiés. Deux superettes, en proie aux flammes, éclairaient les environs. Plus j'avançais sur la route, un sentiment de détresse, de peur m'enveloppait. Je croyais vivre un cauchemar. Des voitures brûlaient, à moitié calcinées. La plupart des petites boutiques étaient mises à sac, brûlaient. Le sol était jonché de bris de toutes sortes, allant du téléviseur éventré à toutes sortes d'objets usuels. Une horde d'énergumènes, hirsutes, pillaient, brûlaient sans vergogne, tout ce qui était à leur portée. D'autres armés de gourdins, de haches, de barres de fer, déferlaient en hurlant, à la poursuite de paisibles citoyens terrorisés. C'est la milice du RCD, disait-on. Dominant les hurlements que poussaient ces prédateurs et pour couronner le tout, des coups de feu éclatèrent à proximité, provoquant la panique parmi la foule. Ce fut une débandade générale. Poussant un soupir de soulagement, je déclarais à un monsieur, courant à mes côtés, pendant ce footing forcé‑: – C'est la police qui intervient. Il s'arrêta pile et, saisissant avec fébrilité ma main, il déclara : – Non‑! C'est les snipers de la police présidentielle. Ils tirent sur la foule. Voulant en savoir plus, je lui collais aux basques. A bout de souffle, haletant, nous nous arrêtâmes une centaine de mètres plus loin. Devant mon interrogation muette, il prit la peine de m'expliquer. – La milice du parti brûle, saccage et vole. Quant au rôle dévolu aux parias de la police présidentielle, c'était de semer la peur et la panique au sein de la population. Plan machiavélique préétabli par les esclaves du régime dictatorial, Hadj Kacem, Sériati et leurs complices. Après la police qui a abattu des centaines de manifestants, voilà la police présidentielle qui tue des innocents. On n'attend plus que l'armée, qui, vu le déroulement des événements, va venir finir le travail. Et c'était vrai. Des camions militaires, arrivés en catastrophe, prirent possession des principales artères de la cité. Au bord de la panique, la peur au ventre, me préparant à filer en vitesse, j'assistais à un scénario incroyable, irréel, qui ne cadrait pas avec ce que j'ai entendu. Les soldats, armes au poing, tiraient en l'air, pourchassant les gens de la milice. D'autres scrutant les hauteurs, terrasses d'immeubles et autres, essayaient de localiser les snipers. Calmes, pondérés, beaucoup de sang-froid, jusqu'au bout des ongles. Malgré leur nombre assez restreint (voulu par l'ancien dictateur), ils ont pesé de tout leur poids pour colmater l'absentéisme (ceci est un autre problème) provoqué par les forces de l'ordre publique. Ils ont fait un rempart de leurs corps aux tirs des snipers, ces criminels formés et entraînés par les sbires de l'exécrable despote ben ali (il ne mérite pas les majuscules). Les poursuivant sans relâche, dans tous les coins et recoins des rues de la capitale, dans toutes les villes, sur toutes les routes et même dans les bois jouxtant les cités populaires. Contrôlant toute voiture suspecte, ils ont pu se saisir de centaines d'armes à feu et arrêter des centaines de malfrats. Par leurs actions, ils ont préservé des milliers de vies humaines. Ile demandaient gentiment, mais fermement aux passants, de rentrer chez eux et de les laisser faire leur travail. Professionnels jusqu'au bout. Des larmes de gratitude inondèrent mon visage. Dieu est Grand. Hommage à votre abnégation, et à votre courage. Nous sommes très fiers de vous, fils indomptables de la Tunisie. Vous êtes un rayon de soleil en ces jours tristes et maussades. Merci, merci, enfants valeureux de notre Tunisie. Hommage et gratitude aussi aux officiers de notre armée nationale et à leur tête son prestigieux chef d'état major, le général Rachid Ammar, dont l'intégrité morale, le courage et l'amour de son pays ont évité un bain de sang. Qui aurait osé se rebiffer et s'insurger contre les ordres du tyran ? Le général Ammar l'a fait. Des tours de garde démentiels, bravant le froid, la fatigue, nos fiers soldats, toujours sur le qui-vive, fraternisaient avec les citoyens, mais demeuraient inébranlables sur les consignes. Rien qu'à voir la population s'agglutiner autour des camions militaires, on devine aisément le raisonnement tout naturel qui s'est opéré. Voulant les toucher, discuter avec eux, les gens, perdus dans les tourments du désarroi, de la peur, de l'angoisse, de l'insécurité, en ont fait leurs protecteurs, leurs idoles. Le peuple éperdu, terrorisé, ne sachant à quel saint se vouer, cherchait auprès d'eux, inconsciemment, un sentiment de sécurité, et ils l'ont trouvé. Un climat de confiance totale s'est instauré entre nous et notre armée nationale. Je suggère que l'on érige un mémorial en leur honneur, avenue Habib-Bourguiba, symbole de fidélité, de courage et de patriotisme. Ce mémorial sera édifié à la mémoire des militaires tombés en ces tristes jours et, par là, à la gloire de notre armée nationale qui a sauvé la Tunisie du chaos. C'est le moins que l'on puisse faire. A.N. * Ecrivain