Il nous reçoit à Tunis, dans son bureau au siège de l'Alecso, l'Organisation arabe de la culture qu'il dirige depuis deux ans. Mohamed El Aziz Ben Achour, dont les deux derniers décrets de déclassement, portant sur les 12 hectares et demi de la Maâlga, ont été signés à l'époque où il était chargé du ministère de la Culture et de la Sauvegarde du patrimoine, semblait choqué par l'article sorti le 26 janvier, sur les colonnes du Canard enchaîné. Il y était taxé de «l'artisan de cette opération». L'ancien ministre s'explique. Comment expliquez-vous que Carthage ait subi tous ces déclassements ? A Carthage, les déclassements ont commencé il y a bien longtemps. On a même levé des protections au cœur de certaines aires archéologiques pour permettre aux gens d'édifier des villas. Avec le temps, les opérations foncières dans la zone de Carthage-Sidi Bou Saïd sont devenues le domaine réservé de l'ex-chef d'Etat. Les bénéficiaires de ces opérations avaient un accès direct au palais, vu leur lien de parenté avec le couple présidentiel. Ils n'avaient donc nul besoin de solliciter l'accord du ministre de la Culture. D'ailleurs, ils ne l'ont jamais fait. Comment se sont passés les préliminaires du déclassement? Ben Ali vous a-t-il appelé en personne pour cet effet? Non, j'ai reçu, comme les autres ministres concernés par ce dossier, une injonction du Président à travers un de ses proches collaborateurs me demandant de préparer les décrets. Pourtant le texte des décrets en question est formulé ainsi: «Le Président de la République, sur proposition du ministre de la Culture et de la Sauvegarde du patrimoine…décrète»… Justement. Dans cette affaire, tout s'est déroulé à l'envers. Alors que dans un schéma normal de déclassement, la procédure commence avec une proposition du ministre, qui atterrit sur la table du Président, ici tout s'est passé sens dessus-dessous. Pourquoi, selon vous, le Parc archéologique est-il resté à l'état de projet ? Le Parc a toujours été pris en tenaille entre les exigences insatiables de l'entourage de l'ex-chef d'Etat et le flou juridique, qui continue à entourer le Code du patrimoine. Le Code n'a jamais été accompagné de décrets d'application. Le Parc a été aussi victime du peu de moyens financiers et humains mis à la disposition des experts qui ont travaillé dessus. Lorsque vous rencontriez Ben Ali en tête à tête, lui arrivait-il d'évoquer le sujet des déclassements avec vous ? Jamais. Toutefois, il répétait souvent à quel point il était déçu par l'état de blocage et d'immobilisme dans lesquels le projet du Parc était tombé. Des voix se sont élevées, ces derniers temps, pour vous reprocher de ne pas avoir démissionné au moment de la promulgation des décrets de déclassement… J'ai souvent été assailli par le doute lorsque j'étais ministre. Mais je me suis dit, le régime avait installé un système particulier. Si je partais, on trouverait quelqu'un d'autre qui adhérerait à tous les décrets voulus. Autant résister pour sauver ce qui restait à arracher à tant de prédateurs. Voici un exemple: j'ai reçu une fois dans mon bureau au ministère, Imed Trabelsi, qui voulait récupérer le Bordj Boukhriss, à côté du cimetière américain, un magnifique domaine de 11 hectares au cœur d'une sénia ancienne (verger), pour le transformer en un ensemble hôtelier. J'ai alors très vite préparé un dossier pour restaurer le monument et lui donner une fonction culturelle et récréative. Le projet est actuellement en cours de finalisation.