Devant le peu d'initiatives du pouvoir de transition (gouvernement et président) qui se limite au bout de 6 semaines à annoncer 3 dates butoirs (1er mars pour se prononcer sur la proposition de mettre en place une Constituante, 15 mars pour la fin des négociations avec toutes les sensibilités politiques, 15 juillet pour les élections) et 4 scénarios possibles (le 1er : garder la Constitution actuelle et le régime présidentiel et élire un président après avoir rectifié toutes les lois liées à la vie politique. Le président élu pourra alors appeler à l'élection d'une Constituante qui aura la charge d'une nouvelle Constitution; le 2e : élire un nouveau président et une Constituante en même temps; le 3e : nommer un nouveau président et un nouveau gouvernement provisoire après la fin de la période légale (le 15 mars) de Foued Mebazaâ. Ce nouveau gouvernement appellera à l'élection d'une constituante, et, enfin, le 4e : écrire une Constitution sur laquelle s'entendront toutes les forces politiques et la soumettre à un référendum populaire) et l'ébullition du peuple qui aspire à un changement rapide et concret, et ne voit rien venir ni d'un côté ni de l'autre, susciter un dialogue constructif sur l'avenir de notre Tunisie s'impose. Faisant mes premiers pas en tant que juriste, n'étant pas constitutionnaliste, j'ai pris mon courage à deux mains pour m'exposer à toutes les critiques et les contestations en vous proposant un plan d'action possible pour assurer une transition démocratique en garantissant l'unité populaire et la participation directe de tous les Tunisiens sans tuteurs ni mandataire. Mais, il convient au préalable de nous entendre sur trois idées essentielles qui supporteront notre raisonnement du début à la fin : rester dans un cadre constitutionnel en attendant l'élaboration d'une nouvelle Constitution, élire un président de la République au suffrage universel, faire jouer l'article 39 de la Constitution afin de nous affranchir de la limite des 60 jours de l'art. 57, tout en restant dans un cadre constitutionnel Un cadre constitutionnel, seule garantie contre une confiscation du pouvoir par qui que ce soit en dehors de tout jeu démocratique Si la nécessité de modifier la Constitution tunisienne, taillée sur mesure pour former des dictateurs, fait aujourd'hui l'unanimité des Tunisiens, les discordances ne tardent pas à apparaître dès qu'il est question de préciser quand ou comment la remplacer ? A mes respectueux professeurs de droit qui déclarent que la Constitution tunisienne est figée, qu'on est désormais dans «‑une autre légitimité‑», qu'on est «‑en dehors de la légitimité constitutionnelle‑», conséquence inéluctable de toute révolution, je ne peux que leur répondre que l'heure n'est pas à la théorie ni à l'histoire, l'avenir d'un pays, d'un peuple est en jeu et votre responsabilité est énorme. Si notre Constitution ne s'applique plus, il faut se demander : quelle légitimité s'applique aujourd'hui ? Sur quelle référence historique d'une révolution spontanée qui n'a à sa tête ni meneur ni force politique vous basez-vous ? Et pourquoi vous n'allez pas au bout de votre raisonnement pour sortir en masse déloger M. Foued Mebazaâ du palais présidentiel ? Car si la Constitution a rejoint la poubelle, comme vous le préconisez, l'art. 57 en fait partie. Où est la cohérence que vous nous aviez apprise sur les bancs de la fac, comme le fondement de tout raisonnement juridique ? Pourquoi ne pas admettre que la révolution tunisienne n'a pas de précédent et que votre mission, vous constitutionnalistes, est de bûcher pour essayer de trouver une issue qui nous permette une transition démocratique sans laisser de place au vide et à la lutte anarchique pour le pouvoir ? Elire un nouveau président choisi directement par le peuple L'idée d'élire un président de la République au suffrage universel ne fait désormais plus l'unanimité. Elle est présentée par les défenseurs d'un régime parlementaire comme une option du seul régime présidentiel, alors qu' il n'en est rien. En effet, il n'est pas exclu, dans un régime à tendance parlementaire, que le président de la République, aux pouvoirs nettement limités, soit élu directement par le peuple, tel est le cas en Finlande et en Islande, par exemple. Or, l'élection directe du président de la République en Tunisie semble répondre à un impératif révolutionnaire, social et politique. Révolutionnaire, car il est plus que légitime que le peuple qui a su déloger Ben Ali, sans armes ni dirigeant, ait l'opportunité de lui choisir un successeur qui soit, pour la première fois de l'histoire de la Tunisie, l'incarnation d'un véritable choix populaire sans fraude ni falsification. Social, parce que, que nous le voulions ou pas, notre société est encore, dans une large mesure, rattachée au modèle patriarcal qui accorde au « père », dans la majorité des cas, le pouvoir de décision finale. Le président de la Tunisie du 14 janvier ne devrait pas, à mon sens, être cantonné à un rôle honorifique sans un quelconque pouvoir décisionnel, position qui pourrait faire du chef du gouvernement le nouvel homme fort du pays. Politique enfin, car dans la Tunisie trahie et violée par Bourguiba et Ben Ali, la crise de confiance envers la politique et les politiciens est énorme. Renoncer à choisir directement le chef de l'Etat en faveur d'un parlement qui s'en chargerait risque d'être un sacrifice douloureux pour les Tunisiens; d'un côté, parce que leur confiance en un parlement même élu ne saurait être totale, de l'autre, afin d'éviter que la majorité au parlement ne soit également à la tête de l'exécutif, au risque d'ouvrir de nouveau la voie au totalitarisme. L'art. 39 pour nous affranchir de la limite des 60 jours Certes, l'art. 57 impose au président par intérim de faire élire un nouveau président dans un délai de 60 jours, mais il est consensuellement admis aujourd'hui que de telles élections sont impossibles. Comme l'a si bien expliqué M. Yadh Ben Achour, président de la Commission de la réforme politique et de la transition démocratique, «‑aucun parti n'est en état de présenter un candidat, encore moins de surveiller les bureaux de vote... A l'impossible nul n'est tenu. En s'appuyant sur la théorie des forces majeures et sur la théorie des formalités impossibles, il sera possible de donner du temps au pays pour préparer une élection présidentielle ». D'autant plus que l'art. 39 nous offre une échappatoire puisqu'il prévoit la possibilité de reporter les élections présidentielles en cas d'impossibilité pour cause de guerre ou de péril imminent. Certes, cet article est censé s'appliquer en situation normale et non en cas de présidence par intérim, mais, force est de constater qu'organiser des élections dans un pays qui n'y est pas préparé serait une violation pure et simple de la volonté populaire. De sorte qu'une interprétation extensive et téléologique (en fonction de la finalité du texte) des articles 57 et 39 de la Constitution pourrait nous sortir de l'impasse juridique, d'autant plus qu'il est impératif en de circonstances aussi exceptionnelles de faire prévaloir l'intérêt national sur le juridisme. Quelles solutions ? Pour quels défis ? Même si la Tunisie semble aujourd'hui divisée, fractionnée, partagée, il ne s'agit que d'une illusion d'optique, car nous sommes, aujourd'hui, unis autour de 3 idées fondamentales : modifier la Constitution de 1959 par une Constituante, bâtir une démocratie et mettre en place un dispositif légal qui garantisse la démocratie et le pluralisme. Les discordances n'apparaissent qu'au niveau du calendrier à adopter et des priorités. Elire une Constituante doit-il nécessairement constituer la première étape ? N'est-il pas possible d'élire une Constituante et un président de la République en même temps sans pour autant violer la Constitution‑? Est-il nécessaire d'attendre que les partis politiques s'organisent et que l'échiquier politique se mette en place pour élire une Constituante? A ces trois questions, ce plan d'action possible permet de répondre par la négative . Elire parallèlement une Constituante et un nouveau président Il s'agit d'un plan en 8 étapes réalisable en quelques mois: Le président de la République par intérim promulgue un décret-loi pour proroger la durée de sa présidence conformément à l'art. 39 de la Constitution La Commission des réformes politiques et de la transition démocratique (élargie aux différents courants politiques et acteurs de la société civile) prépare un projet de décret-loi organisant l'élection d'une Constituante qui se fera sur la base de listes électorales qui ne sont pas représentatives de partis mais d'options politiques. Par options politiques on entend : - choix du régime politique dans ses grandes lignes (présidentiel, parlementaire, semi-présidentiel…) - choix des principaux droits et principes fondamentaux autour desquels s'articulera la Constitution Chaque liste devra obligatoirement comprendre un nombre à arrêter de juristes (enseignants, avocats et magistrats confondus, sans exclure les membres de la Commission des réformes politiques), des représentants d'au moins deux partis politiques, des représentants de la société civile libres sans appartenance politique, des représentants d'au moins un organisme professionnel, des représentants d'organisations non gouvernementales et d'associations œuvrant dans le domaine des droits et libertés. Etant entendu que chaque liste devra être représentative d'au moins 3 régions différentes du pays Le président de la République par intérim promulgue le décret-loi après soumission à l'opinion publique - Délai accordé pour la promulgation du décret-loi, travaux de la commission compris : 10 jours Mode de scrutin : suffrage direct - Délai des élections : un mois dont 15 jours de campagne électorale La Constituante élue s'organise pour élaborer la Constitution conformément aux axes défendus lors de sa campagne électorale en exposant ses travaux, au fur et à mesure, à l'opinion publique Délai accordé: 3 mois Parallèlement, la Commission des réformes politiques achève sa mission et prépare les projets de textes visant à assainir le climat politique et préserver les libertés et à leur tête le code électoral qui permettra d'élire le nouveau président et le (ou les) chambre(s) législative(s) Le président par intérim promulgue le code électoral et les autres textes élaborés au fur et à mesure après soumission à l'opinion publique Délai accordé pour la préparation du code électoral: 2 mois Délai butoir pour préparer tous les textes : 1 mois à partir de la date des élections présidentielles Organisation des élections présidentielles et élection d'un nouveau président au suffrage universel direct Date butoir des élections : 15 juillet Le président élu organise un référendum pour approuver la Constitution élaborée par la Constituante, puis dissout les deux chambres et organise des élections législatives Délai pour organiser le référendum : 1 semaine (le comité qui a organisé les élections présidentielles peut être le même chargé d'organiser le référendum) Délai pour organiser les élections législatives: le plus rapidement possible Naissance d'une démocratie Ce scénario n'est qu'une option parmi tant d'autres, mais il pourrait garantir une transition démocratique assurant une participation active et directe de tous les Tunisiens, le tout, dans un cadre constitutionnel. En effet, si l'art. 57 interdit au président par intérim de modifier la Constitution, il ne lui interdit nullement de faire élire une Constituante. Par ailleurs, l'élection d'une Constituante, sur la base d'options prédéfinies, permet au peuple de choisir le régime à adopter en Tunisie et de confirmer son consentement à travers un référendum. Car force est d'admettre que la mise en place d'une nouvelle constitution qui emporterait le consensus de toutes les sensibilités politiques relève simplement de l'utopie. Et l'élection d'une Constituante panachée impliquera des négociations et des tractations à n'en plus finir pour un résultat qui se voudra consensuel mais qui risque de manquer d'harmonie et de cohérence. Cette proposition n'a d'autre prétention que de susciter le débat. Postez vos critiques et propositions sur la page facebook ouverte à tous les Tunisiens sans exception : «‑ensemble écrivons la Tunisie de demain‑». O.J.