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T pour transition
OPINIONS - Lexique révolutionnaire à l'usage du Premier ministre
Publié dans La Presse de Tunisie le 04 - 03 - 2011


Par Yassine Essid
Dans toutes les révolutions démocratiques, le moment crucial et le plus déterminant, celui qui décide de l'issue d'une action populaire, si celle-ci va déboucher sur le meilleur ou au contraire sur le pire, est ce court intervalle qui sépare l'instant de l'effondrement d'un régime perdant toute légitimité et la naissance d'un ordre nouveau censé répondre aux aspirations du peuple. Cette période de tous les dangers est celle qu'on appelle la transition démocratique. Pour la Tunisie, ce moment fut d'autant plus décisif que personne ne s'y était préparé, même s'il fut pendant vingt trois ans l'objet de toutes les espérances, l'objectif de toutes les actions, qu'elles soient réclamées haut et fort ou simplement refoulées.
Que se passe t-il pendant ladite transition démocratique ? Pour répondre voyons à quoi ressemblait la scène en Tunisie avant la révolution.
• un régime politique autoritaire et répressif,
•‑un parti hégémonique qui règne depuis l'indépendance en maître absolu, accaparant tous les pouvoirs,
•‑une administration aux ordres du président et du parti, donc largement compromise avec le régime,
•‑des élections truquées qui ne servaient que de plébiscite au candidat unique ou « tout comme »,
•‑une société civile n'ayant aucune autonomie par rapport au pouvoir, largement confinée au secteur pseudo-culturel et sportif, servant d'alibi et parfois même célébrée par le pouvoir,
•‑une confusion entre appartenance associative et politiques partisanes,
•‑une opposition politique réduite à quelques individualités et qui se retrouve dans le collimateur du pouvoir à chaque campagne électorale,
• Une autre opposition, cette fois clientéliste, dont les représentants se portent candidats tout en affirmant leur soutien au président en poussant l'indécence jusqu'à déclarer qu'ils ont voté pour Ben Ali,
• L'absence de débat et d'espaces d'expression politique,
•‑Des médias publics ou dits «indépendants» servant de caisse de résonance et d'instrument de propagande au régime,
•‑Enfin, une police qui agit comme instrument du pouvoir et comme outil de répression de toute contestation et qui a intégré dans ses mœurs des pratiques répréhensibles.
Au lendemain de la fuite de Ben Ali,  la configuration de la scène politique était censée refléter une nouvelle donne, celle d'un mouvement vers une société politiquement reconstituée dans laquelle la société civile serait appelée à jouer un rôle crucial en répondant à trois revendications essentielles : liberté, justice, et un gouvernement responsable devant la nation. Ces valeurs, partagées par toutes les démocraties modernes, suffiraient pour jeter les bases d'une transition. Pourtant que constatons-nous :
• Le boycott sournois opéré par le parti unique qui se trouve subitement dépossédé du pouvoir, ses militants dénoncés sinon traqués ou sommés de quitter leurs postes,
•‑De nouveaux acteurs politiques, qu'ils émanent de la société civile ou rentrés d'exil, inconnus du grand public et peu organisés, apparaissent et se précipitent pour former des partis, chacun s'autoproclamant détenteur de la légitimité révolutionnaire. Ces acteurs vont s'affronter pour imposer leur choix à tout le peuple dans la perspective des échéances politiques futures, certains à travers un discours complètement anachronique et obsolète,
• des représentants majeurs de la société civile, tel que l'Ugtt, dont les instances exécutives et régionales furent largement complices du régime déchu, cherchent à se refaire une virginité en s'opposant à toute initiative du gouvernement provisoire et en s'érigeant en arbitre incontournable capable à la fois d'empêcher ou au contraire de débloquer l'activité économique du pays, joueurs en même temps que juges de la partie,
• Une connivence malsaine entre les inconsolables d'un parti en voie de dissolution et certains éléments de la police politique qui contribue à entretenir un climat d'insécurité permanent,
• Des médias soudainement détenteurs du pouvoir de critiquer, de dénoncer, de juger et parfois même de condamner, qui interpellent les acteurs politiques au sein ou en dehors du gouvernement, dévoilent leur force et leur faiblesse lorsqu'ils ne les jettent pas carrément en pâture à la vindicte publique,
• Enfin, un pays économiquement sinistré par le climat d'instabilité permanente si préjudiciable à l'activité économique, notamment touristique.
Ceux qui s'étaient engagés, par calcul politicien ou par patriotisme, à assurer la transition démocratique, s'étaient trouvés appelés à résoudre une équation à plusieurs inconnues. Combler le vide du pouvoir, lutter contre toutes les tentatives destinées à torpiller l'expérience démocratique, reconstruire et réhabiliter les institutions détruites ou affectées par le régime déchu, assurer une autre gouvernance, et surtout satisfaire la profusion de revendications émanant des sans-emploi aussi bien que des actifs, impatients de récolter les dividendes d'un soulèvement suscité avant tout par la criante inégalité économique, politique et sociale. Tels sont les défis majeurs à relever dans un laps de temps très court. Avec quels instruments et selon quelle méthode? C'est là que se pose la question de ce qu'on pourrait appeler l'ordre des connaissances.
Comme le mouvement éternel des planètes sur leur orbite, le système de Ben Ali, tel qu'il l'avait conçu, était un système en ordre dans lequel il n'y avait pas place pour la surprise et la perturbation et de ce fait appelé à durer éternellement. Cette conception, les militants du parti, les membres du gouvernement et tous les caciques du pouvoir avaient fini par l'intérioriser et même la perfectionner. La révolution est venue bouleverser cette réalité et les dirigeants d'hier étaient appelés désormais à penser autrement la vie politique, cette fois en termes de devenir, de mutations brusques dont on ne peut réellement rendre compte. Aussi le ciel politique, qui avait paru échapper au changement, s'inscrit maintenant dans un univers en perpétuelle mutation. D'où le désarroi des responsables politiques appelés subitement à affronter une réalité nouvelle, celle où l'on prend des décisions, où l'on rend des comptes, où l'on affronte la contestation; des situations en somme qui ne répondent plus à la mécanique classique à laquelle ils étaient rompus et pour laquelle ils n'étaient nullement préparés. D'où le malaise, parfois les maladresses, souvent les erreurs des politiques, confrontés à leurs contradicteurs et pour une fois interdits de langue de bois.
La composition du second gouvernement Ghannouchi fut hautement révélatrice de cette incapacité à assurer la mutation d'un ordre à l'autre. Sinon comment expliquer qu'au lendemain d'un bouleversement politiquement cataclysmique, qualifié de révolution, autrement dit signifiant que rien n'est plus comme avant, on puisse former un gouvernement aussi peu innovant, aussi peu créatif, dans le fond aussi bien que dans la forme, au moment même où la fonction de la politique était appelée à changer, et croire qu'on puisse appliquer à une nouvelle réalité la même politique ou s'adapter à l'exercice classique du pouvoir dans une société où tout s'est modifié. Ainsi cette profusion de ministres et de secrétaires d'Etat : de la femme, de la culture, du tourisme, des sports, de la recherche, etc. qui ne correspond ni à l'urgence des défis, ni à la complexité des problèmes et qui révèle sa totale inadéquation à la situation de bouleversement que le processus révolutionnaire avait engendré. Pourtant une situation exceptionnelle exige des solutions exceptionnelles. Dans cette période charnière, la Tunisie avait plutôt besoin d'un élan de solidarité nationale unissant l'Etat à toutes les composantes de la société civile : Ugtt, Utica, fédérations professionnelles et tout le tissu associatif du pays au-delà de tout esprit de concurrence, de rivalité et de calcul politicien. Sauf qu'une telle formule, pour qu'elle aboutisse, aurait exigé l'élaboration d'une pédagogie politique adéquate par l'organisation de forums, réunions et rencontres à tous les niveaux et dans tous les secteurs afin d'impliquer le plus grand nombre de citoyens, seul moyen de donner sens et efficacité à l'action du gouvernement. Seul moyen aussi de ne pas laisser la rue décider à deux reprises du sort du gouvernement, ce qui est le degré zéro de la politique.
Il existe un autre exemple, encore plus significatif en termes de culture politique, de cette inadéquation, insuffisamment discernée cette fois, entre les vieilles pratiques du discours diplomatique et la nouvelle réalité. L'éphémère ministre des Affaires étrangères en fut la victime expiatoire.
Dépêché d'urgence en France pour exposer les orientations du nouvel Etat révolutionnaire et rassurer notre premier partenaire économique, Monsieur Ounaïes s'était adressé, à l'issue de sa rencontre avec son homologue Mme Alliot-Marie, dont les propos de soutien au régime de Ben Ali furent qualifiés d'«ignobles» sur certains bancs de l'Assemblée nationale française, en avouant, sans ambiguïté, là où il aurait fallu rester flou, c'est-à-dire diplomate, que «parler à côté de Michèle Alliot-Marie, c'est pour moi un honneur, c'était peut-être un petit rêve que je faisais, et que l'histoire ou l'accélération de l'histoire m'a permis de réaliser». Usant de ces propos, qui relèvent plutôt du registre lyrique, Monsieur Ounaies restait encore dans l'ordre du discours diplomatique explicite et parfois bien au-delà de ce qu'exigent les règles de la courtoisie, du protocole et des rites. La réception de son discours par le public tunisien dénote l'ampleur du changement qui s'est opéré dans l'ordre des connaissances où la moindre parole prononcée dans n'importe quel lieu de la planète est aussitôt transmise, interprétée, répercutée sur l'immensité de la Toile, commentée et partagée à l'infini. Les paroles du ministre avaient ainsi révélé son déphasage par rapport au sentiment d'un peuple qui a retrouvé sa dignité, qui a dit non à l'injustice, à l'oppression et aux intérêts géopolitiques hypocrites et complices. Cette jeunesse ne s'est pas reconnue dans le langage d'un ministre qu'elle avait délégué pour transmettre un message clair aux dirigeants français, ceux-là mêmes qui se sont longtemps accommodés de la dictature de Ben Ali et qui se trouvent aujourd'hui désemparés devant la brutalité des événements. D'ailleurs, ils ont vite fait de se trahir puisqu'ils n'avaient retenu de la démocratisation des sociétés arabes que leurs conséquences sur les flux migratoires vers l'Europe et approvisionnement de celle-ci en pétrole.
Plusieurs pays avaient connu ces périodes décisives pendant lesquelles il fallait gérer la transition démocratique : d'abord l'Europe occidentale avec le plan Marshall, puis l'Espagne, le Portugal et plus récemment les pays de l'Est après la chute du mur de Berlin. Ce qu'on doit retenir de ces expériences, au-delà des spécificités de chaque société, c'est qu'au-delà des divergences internes, existait un consensus quant au modèle politique de société à construire; s'orienter vers une démocratie libérale et, à terme, accéder au statut de membres de l'Union européenne en satisfaisant aux critères politique et économiques par la présence d'institutions stables garantissant la bonne gouvernance, la démocratie et la primauté du droit. Bref, souscrire à toutes les obligations d'un futur Etat membre. Pour les révolutions arabes, ce consensus n'existe pas et ne pourra pas être garanti. Par conséquent, la transition risquerait fort d'attiser les tensions, d'élargir la fracture idéologique et de diviser le pays, chaque faction, (démocrates, islamistes, ex-communistes, ex-RCD, POCT, etc.), étant imbue de la légitimité de sa vision du monde pour la proposer, au nom de tous, comme modèle pour l'avenir de la nation.


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