Le débat en direct sur Nessma, auquel ont pris part quatre partis politiques et l'Ugtt, semble remettre quelque peu le compteur du calendrier des réformes politiques à zéro. Certes, Maya Jribi et Abid Briki n'ont pas oublié le positionnement de leurs organisations (Parti démocrate progressiste-PDP et Union générale tunisienne du travail-Ugtt) durant ces longues semaines de pressing qui ont suivi la formation du premier gouvernement provisoire, de sorte qu'arguments et contre-arguments ont côtoyé des accusations parfois graves. Mais, menés par un Ahmed Ibrahim plus prolixe et constructif que jamais, les protagonistes se sont, en définitive, montrés déterminés à tourner la page de ce mois et demi de controverse qui a miné l'action du gouvernement de transition et retardé la mise en place d'un calendrier et d'un dispositif menant à la consultation populaire démocratique que le peuple tunisien attend depuis maintenant 54 ans, soit depuis la convocation, par Mohamed Lamine Bey, de l'Assemblée constituante. Sur le plateau : M. Mustapha Ben Jaâfar, secrétaire général du Forum démocratique pour le travail et les libertés-Fdtl (membre du Conseil de protection de la révolution-CPR), M. Noureddine Bhiri, membre de la direction du Mouvement Ennahdha (également membre du CPR), M. Abid Briki, porte-parole de l'Ugtt (membre fondateur du CPR), Mme Maya Jribi, secrétaire générale du PDP (représenté au sein du gouvernement provisoire jusqu'à mardi dernier), M. Ahmed Ibrahim, premier secrétaire du Mouvement Ettajdid et ex-ministre de l'Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique du gouvernement provisoire, ainsi que trois journalistes, Sofiène Ben Hmida, Jamel Arfaoui et Elyès Gharbi, animateur du débat. Sont ainsi en présence deux partis politiques et la centrale syndicale, qui sont des instigateurs du sit-in de La Kasbah opposé au gouvernement provisoire et revendiquant des élections législatives immédiates plutôt que les présidentielles que prévoit l'article 57 de la Constitution, et deux partis ayant fait partie du gouvernement, qu'on a poussés à la démission en limitant leur liberté de mouvement partisane, et qui, jusque-là étaient plutôt favorables à un strict respect de l'article 57. Les accusations mutuelles n'ont certes pas pu être évitées entre tous ces protagonistes, mais une fois le compteur à zéro, tous cinq se sont clairement engagés à agir dans le sens de ce qui semble désormais acquis : les élections législatives pour désigner une Assemblée constituante chargée d'enfanter la deuxième République. Sachant qu'une structure se chargeant de la protection de la révolution, englobant tous les partis et les grandes organisations de la société civile, fera l'objet d'un décret-loi du président de la République par intérim. Ainsi, au terme de six semaines d'invectives et d'accusations réciproques, les partis politiques les plus importants de l'ancienne opposition radicale à Ben Ali et l'Ugtt se retrouvent côte à côte pour tenter d'apprendre aux Tunisiens à faire leur choix politique en toute liberté et connaissance de cause. Même si, le temps et l'énergie perdus étant précieux, l'apprentissage démocratique s'avère problématique. Désormais, et pour un moment, ce sera «La Kasbah-La Kobba, même combat !». Car les objectifs nobles de la révolution populaire attendent, et le peuple est impatient d'exercer enfin sa souveraineté. Toutes les forces politiques vont devoir entamer un débat constructif au sein d'une structure de réflexion inédite, sans que l'arme de la rue ne soit appelée à les départager. Car le but suprême, reconnu par tous, avant-hier sur le plateau, c'est que le peuple tunisien soit en mesure d'élire ses dignes représentants, aussi bien au sein d'une Assemblée la plus fidèlement représentative qu'à la présidence de la République. Ce n'est qu'à la condition que tout soit mis en œuvre pour que le vote des citoyens se fasse dans la quiétude et la sérénité, sans risques de violence ni pression de la rue, que la bataille de la démocratie sera gagnée et que l'on saura vraiment ce que «le peuple veut».