Par notre envoyée spéciale Souad Ben Slimane La Presse — Le référendum a bel et bien eu lieu et la réforme constitutionnelle a été approuvée à 77,2%. C'était assez prévisible vu la campagne très organisée, menée par les islamistes et les salafistes pour le «oui» aux modifications du Destour de 1971, lequel selon les partisans du «non» redonne toute sa légitimité au régime déchu. Le 19 mars 2011 était incontestablement une journée historique pour les Egyptiens. Jamais les rues du Caire ne se sont autant vidées de leurs passants. Le jour «j» à la délégation d'AL Guizèh, et dans l'un des locaux transformés, à l'occasion, en un bureau de vote, les files indiennes n'ont pas fini de se reformer. Des centaines de citoyens sont venus voter «oui» ou «non» aux modifications de la Constitution. Il y avait des jeunes et moins jeunes, des mamans avec leurs bébés et poussettes, des handicapés moteurs accompagnés, des femmes voilées et d'autres plus âgées en tailleurs d'époque, des hommes élégants en costards et des paysans en tenue traditionnelle… On a prévu la fin du vote à 19 heures. Cela s'est prolongé jusqu'à 23 heures, une heure avant le couvre-feu. «On ne s'attendait pas à ce qu'il y ait autant de monde» avoue un chef de l'instance judiciaire à une amie journaliste qui est allée lui signaler une irrégularité. Et celle-ci de répliquer sur un ton cynique : «Vous ne vous y attendiez pas non plus à ce qu'il y ait autant de monde au Midane Ettahrir à partir du 25 janvier !». Un calme apparent Tout avait l'air calme dans ce énième bureau de vote d'Al Guizèh. C'était même assez émouvant de voir certaines personnes en train de se faire prendre en photo, juste pour le souvenir. Car, nous dit une vielle dame à qui on avait apporté une chaise pour se reposer «peu importent les résultats du référendum. Après des décennies d'élections truquées, nos voix deviennent importantes, c'est ça qui compte». Mais qu'est ce qui prouve que ces élections ne seraient pas truquées ? «Cette fois c'est des juges qui sont chargés du contrôle, on leur fait confiance» répond un jeune homme, la trentaine, qui déclare fièrement qu'il va voter par un «oui». Mais à l'intérieur, dans la salle des urnes où nous réussissons à nous faufiler sans autorisation, nous remarquons que le vote ne se déroule pas dans l'intimité. Il n'y a pas de rideaux. On coche «d'accord» ou «pas d'accord» au vu et au su de tout le monde. Et contrairement à l'extérieur, la tension bat son plein. Ce bureau, à l'instar d'autres bureaux ouverts partout en Egypte, se retrouve à court de bulletins de vote. Il a fallu apporter de nouvelles urnes. «Et puis, il y a trop de monde» nous explique un volontaire appelé à l'aide pour gérer la foule. Car, en plus, il faut veiller à ce que les votants s'imbibent le doigt avec une encre rouge qui s'efface après 48 heures. C'est un signe qui permet d'identifier ceux qui ont déjà donné leur voix, pour qu'il n'y ait pas de doublant. On nous apprend par ailleurs que la tension dans les bureaux de vote est générale. Elle est également due à la campagne menée par les frères musulmans pour le «oui». Ces derniers se promènent dans tous les bureaux et distribuent nourriture et boissons aux électeurs fatigués de faire la queue. On a vu, à Al Guizèh, des jeunes transporter des sacs de traiteurs… Et puis, il y a eu quelques désordres avec notamment cette agression dans le quartier populaire du «Mokattam», au Caire, contre Mohamed Al Baradai, l'ancien chef de l'Agence internationale de l'énergie atomique (Aiea), prix Nobel de la Paix et candidat à la présidence. Ce dernier qui avait dénoncé un manque de «sécurité» pendant le déroulement du référendum a dû se retirer sous un jet de pierres et de bouteilles d'eau qui, selon les témoins, étaient l'œuvre d'islamistes salafistes. Ils ont fini par gagner Les islamistes et les salafistes qui ont fait une campagne très organisée pour le «oui» en distribuant des tracts, en faisant circuler des voitures à hauts parleurs, en installant des écrans de projection dans les différentes délégations pour diffuser leur point de vue, et en transformant la prière du vendredi, dans les mosquées, en propagande politique, ont donc fini par gagner. Dimanche dernier, les résultats du scrutin étaient annoncés : 77,2% des électeurs ont dit «oui» à un changement de la Constitution, contre 22,8% de «non». Les partisans du référendum estiment que le texte de la Constitution, une fois «modifié» facilitera la transition et la restitution du pouvoir, actuellement détenus par des militaires, à des civils. «Il n'est pas question de se laisser gouverner par des militaires» nous confie Alaa, un émigré égyptien à Marseille, qui transite par la Tunisie, après un séjour d'un mois en Alexandrie, sa ville natale. «L'époque de Abdennasser nous en a fait déjà voir de toutes les couleurs» ajoute-t-il. Quant aux opposants au référendum, ils estiment que le pays doit se doter d'une nouvelle loi fondamentale. Cela permettrait, selon eux, de marquer une véritable rupture avec le régime d'Hosni Moubarak en place depuis plus de trente ans. Réunis par milliers au Midane Ettahrir, la veille de la consultation, ils ont scandé les slogans suivants : «Non aux modifications !». «Le peuple veut une nouvelle Constitution !», «Laissez notre pays voir la lumière». Et c'est pour la première fois, depuis le déclenchement de la révolution que les manifestants crient des slogans contre les islamistes : «Ya Ikhouan ya mouslimin, bi3tou baladkom bikem millim ?» (Ô frères musulmans, à combien vous avez vendu votre pays !). » Du haut du podium installé au Midane, comme pendant le sit-in, Georges Isaac, membre de l'Association nationale pour le changement s'indigne devant le fait que l'on soit pressés pour faire les élections parlementaires et que l'on ne donne pas le temps aux jeunes qui ont fait la révolution de former leurs propres partis. Et demain ? Que va-t-il se passer dans les prochains jours ? La majorité qui a voté «oui» aspirant le retour rapide à la stabilité l'aura-t-elle enfin ? Les partisans du «non» qui ont perdu au scrutin, baisseront-ils les bras ? Les jeunes qui ont fait la révolution sont déjà divisés : les uns veulent faire table rase des 60 ans de dictature et d'autres ne veulent pas d'un changement radical de peur de voir disparaître l'article n° 2 qui stipule que l'Islam est la religion officielle du pays. Selon ces derniers, un conflit entre les différentes confessions menacerait la sécuritée de la nation. Va-t-on finir par s'entendre ? Et cette majorité silencieuse qu'on appelle «le parti du canapé» va-t-elle réagir enfin ou est-ce bien trop tard ? En tout cas, une chose est sûre, les Egyptiens sont fatigués, bien plus qu'avant le 25 janvier 2011. Ils en ont marre d'entendre parler de braquages et de vols de musée. «Vivement la sécurité et la tranquillité», disent-ils souvent. Mais certains indices, annoncent des jours pleins d'émotions… désagréables. D'abord cette façon de faire des islamistes, des salafistes et du Parti national pour influencer les gens, l'armée qui ne se fait pas du tout discrète, les médias qui n'ont pas changé de ton, et puis tous ces gens qui sont en train de s'acheter des «Tabanga» (révolvers) sous prétexte de se défendre contre les «baltagia» et qui finiront bien par les utiliser un jour…