— Que pensez-vous du mode de scrutin proposé par l'Instance supérieure pour la réalisation des objectifs de la Révolution, de la réforme politique et de la transition démocratique? — L'Instance a proposé deux systèmes électoraux différents, le système majoritaire de listes et le système uninominal à deux tours. Le premier a tendance à favoriser les grandes formations politiques et pénalise, par conséquent, la représentation régionale. Le scrutin de listes, nous en avons fait l'amère expérience depuis la première Constituante de 1956, et tel qu'il a été utilisé, n'a pas réussi à favoriser l'émergence de la démocratie. Y recourir de nouveau, même avec des modifications, pour ne pas permettre à un seul parti d'avoir la majorité absolue, n'est pas la solution appropriée. A mon avis, il ne répond pas à l'attente du peuple tunisien et on risque de tomber, de nouveau, sous l'hégémonie de certains partis. De même, ce système pourrait rouvrir la porte aux responsables de l'ancien RCD de refaire leur apparition sur des listes partisanes. Et même si nous prônons l'inéligibilité de tous ceux qui, durant les dix dernières années, ont été élus dans les institutions constitutionnelles comme la Chambre des députés, ou dans les conseils régionaux et au sein des communes, rien ne pourrait empêcher d'autres qui n'ont pas figuré dans ces instances de se présenter. En plus de cela, le mode de scrutin majoritaire est assez compliqué et il pourrait entraîner un taux d'abstention élevé et un nombre important de bulletins nuls. Les partis qui poussent pour l'adoption de ce mode de scrutin font prévaloir leurs intérêts personnels sur l'intérêt général de la Nation. Car, faut-il le rappeler avec force, aucune formation politique ou autre ne peut se targuer d'avoir initié cette révolution ni de l'avoir encadrée. Et qu'on ne vienne pas, aujourd'hui, chanter cette antienne révolutionnaire et tenter d'usurper la révolution. — D'après vous, quel mode de scrutin conviendrait-il le mieux pour l'élection de la Constituante? — Nous avons proposé, MM.Sadok Belaïd, Heykal Ben Mahfoudh et moi-même, un système qui nous parait le plus apte à refléter la volonté populaire, c'est le scrutin uninominal à deux tours. Ce système consiste à affecter uniformément un seul siège à chacune des «circonscriptions» et à attribuer ce siège unique (scrutin uninominal) au candidat qui aura obtenu au premier tour la majorité absolue des voix (51% des voix). Dans le cas où aucun candidat n'a obtenu ces 51% des voix, il sera procédé à un deuxième tour de vote pour départager les candidats ayant obtenu le plus grand nombre de voix. De ce fait, il permet à tout citoyen tunisien remplissant les critères d'éligibilité requis de se présenter soit sous l'étiquette d'un parti soit en tant qu'indépendant. C'est, également, un système facile pour les électeurs, puisque le choix se fera sur un seul candidat, celui qu'il connaît le mieux et qu'il estime capable de porter sa voix. Il favorisera la représentation de toutes les régions, surtout si l'on va vers des circonscriptions au niveau des délégations, et répondra au mieux aux revendications populaires. Il permettra, également, de limiter la résurgence d'anciens «rcédistes», si ce n'est de les éliminer. Face à cette myriade de partis politiques, que plus de 80% de Tunisiens ne connaissent pas, il est plus que souhaitable d'opter pour le scrutin uninominal à deux tours. Comment alors départager les deux thèses? La réponse est simple, par un référendum populaire, qui donnerait la possibilité au peuple de choisir le mode de scrutin qui lui conviendrait le mieux, quitte à retarder la date des élections au-delà du 24 juillet prochain. Ce référendum devrait être précédé d'une campagne d'explication d'une quinzaine de jours. Ce sera une grande première, non seulement en Tunisie, mais aussi dans le monde. — Quelles seraient les forces qui pourraient animer la vie publique nationale au cours de cette étape et agir en vue d'éviter d'éventuels dérapages? — L'enjeu est de taille et il y va de l'avenir du pays. Car si cette multitude de formations politiques est inévitable dans une démocratie naissante, elle ne signifie pas un pluralisme politique tant les programmes, si jamais, il y en a, se ressemblent. Les petites d'entre elles finiront par disparaître. D'ailleurs, je propose que le financement des partis intervienne après les élections et se fasse selon la réelle représentativité de chacun d'eux. Quant aux forces qui pourraient agir pour favoriser la transition démocratique, je n'en vois qu'une, celle du peuple, c'est-à-dire les indépendants. Ils représentent la frange la plus importante de la société et la plus fidèle, à mes yeux, aux principes de la révolution.