En période de crise, la sinistrose est volontiers de mise. L'arbre du pessimisme ambiant cache par moments la forêt de l'optimisme potentiel. Une bonne nouvelle toutefois la semaine dernière. Trois partis politiques tunisiens ont annoncé la constitution d'un front démocratique et progressiste à tendance centriste. Il s'agit du Forum démocratique pour le travail et les libertés (Fdtl), du Mouvement "Ettajdid" et du Parti démocrate progressiste (PDP). Objectif affiché, contrer les tentatives mettant en péril les valeurs de modernité propres à la société tunisienne. Cela s'est traduit par la Fête de la citoyenneté et de la solidarité à la coupole d'El Menzah, organisée par l'association «Citoyens et solidaires». Au moins trois observations s'imposent. En premier lieu, c'est sans nul doute la première fois que la bannière des centristes se décline aussi massivement. Cela est d'autant plus évident que les partis en question ont une nette sensibilité de gauche. Jusqu'ici, en fait, on se positionnait davantage en Tunisie à droite ou à gauche. Çà et là, on se fait le chantre de la Vérité unique et suprême, c'est-à-dire du dogme. Or, l'on se rend compte que le choix n'est pas tellement entre la droite et la gauche. Il est davantage le centre et les extrêmes. Tous les extrêmes, de droite comme de gauche. En deuxième lieu, les trois partis en question sont pour ainsi dire anciens. Et cela génère des sous-observations. Aucun des nouveaux partis sur la scène politique n'y a été associé. C'est comme s'il y avait, de fait, une espèce de hiérarchie des normes de positionnement sur la place. Cela impose un certain ordre de préséance, voire quelque privilège d'antériorité. Troisièmement, lesdits partis n'en sont pas à leur première initiative en la matière. Depuis des années, ils se rencontrent, se rassemblent et se dissemblent. Ils font et défont des alliances et des fronts de fait qui disparaissent et réapparaissent à la faveur de l'actualité. On est dès lors en droit de se poser la question de savoir s'il ne s'agit pas d'une énième initiative qui confirmera sous peu ce qui relève d'une espèce de règle tacite ou coutumière, à force de répétitivité. D'ailleurs, leur alliance n'a pas, jusqu'à nouvel ordre, une dénomination officielle, ils n'ont pas de porte-parole et n'annoncent pas un programme commun. Dernier constat, le front démocratique et progressiste à tendance centriste de la coupole d'El Menzah se positionne en quelque sorte en creux. Dans l'allocution prononcée à l'occasion du meeting, le secrétaire général du Fdtl, M. Mustapha Ben Jaâfar, en a appelé notamment à protéger la Révolution tunisienne contre de multiples risques. Il a désigné, entre autres, l'amalgame entre le religieux et le politique, "compte tenu du fait que la sphère du sacré ne tolère pas le droit à la différence contrairement à la sphère politique" (propos rapportés par l'agence TAP). De son côté, le premier secrétaire du Mouvement "Ettajdid", M. Ahmed Ibrahim, a affirmé que la Tunisie "a besoin d'une mobilisation massive afin de préserver les constantes de la modernité et l'héritage civilisationnel éclairé". Quant à M. Maher Halim, membre du bureau politique du Parti démocrate progressiste (PDP), il a préconisé de séparer "la religion de la politique, de faire en sorte que les mosquées ne soient pas exploitées à des fins politiques et que leur mission soit limitée aux questions de culte". Clairement, il s'agit d'un front en partie anti-intégriste. Soit contre l'irruption intempestive du religieux dans les affaires politiques de la Cité. En d'autres termes, c'est un front contre l'instrumentalisation politique de la religion. Eu égard à ce positionnement, le front défend les acquis modernistes de la Tunisie, grosso modo depuis l'Indépendance. Eu égard à sa provenance, l'initiative ne saurait étonner. Les trois partis en question jouissent d'un respect sur la place. Leur potentiel militant a été effectif, reconnu et prouvé au fil de décennies de positionnement soutenu, critique et alternatif, à leur corps défendant. Restent les questions fondamentales, au-delà des manifestations festives. Ces trois partis s'uniront-ils lors des prochaines échéances électorales, notamment l'élection de l'Assemblée constituante le 24 juillet ? Ou bien se contenteront-ils de généreux effets d'annonce tout en avançant en rangs dispersés ? L'initiative sera-t-elle élargie à d'autres partis et mouvances ? Surtout que la multiplicité des casquettes partisanes impose la constitution de fronts et regroupements électoraux. Certains d'entre eux ne risquent-ils pas de céder aux sirènes de certaines mouvances incorporant le religieux dans le politique comme cela s'est vérifié auparavant ? Autant d'interrogations qui demeurent, jusqu'à nouvel ordre, sans réponses claires, nettes et précises.