Par Abdelhamid GMATI Etonnant tout ce qui s'est passé ces dix derniers jours, concernant l'ancien président et premier président de la République tunisienne. Certes, le peuple tunisien ajoute à ses qualités ce sens du «devoir de mémoire», rendant hommage au leader Habib Bourguiba, en commémorant le 11e anniversaire de son décès. Une autre façon de faire un pied-de-nez à Ben Ali qui s'était évertué à réduire à l'oubli l'homme qui avait marqué l'indépendance du pays et l'édification de cet Etat tunisien moderne. Ce «devoir de mémoire», les Tunisiens, par milliers, l'ont exprimé non seulement dans la ville natale de Bourguiba, Monastir, et autour de son mausolée, mais aussi au cours d'autres cérémonies commémoratives dans d'autres villes. Une grande journée de souvenir et de retrouvailles, officielles et populaires, non dénuée d'une émotion contenue mais bien réelle. Onze ans après sa disparition, le peuple tunisien a voulu dire qu'il n'est pas près d'oublier Bourguiba, et ce qu'il lui doit. Le credo semblait être de «rendre sa place dans l'histoire à ceux qui la méritent, en expulser les usurpateurs et ramener les lumières sur les vrais patriotes faiseurs d'avenir…». Les grands peuples ont une mémoire et une histoire. Et ce qui mérite d'être relevé, c'est la présence d'une très forte proportion de jeunes qui ne cessent d'étonner : non seulement, ils ont crié leur ras-le-bol et ont été les initiateurs de la Révolution, mais ils ont aussi voulu faire revivre l'Histoire de leur pays et s'approprier sa mémoire. Ils étaient nombreux aux différents hommages rendus à Bourguiba. Et ils ont été nombreux à s'informer sur cet homme. Et il n'y avait pas que cette journée commémorative. Les médias ont suivi, notamment ceux audiovisuels, qui n'ont cessé de diffuser documentaires, témoignages et autres extraits de discours. Sur le web, Bourguiba fait fureur : d'innombrables vidéos de ses discours refont surface sur les réseaux de partage vidéo; la page d'Habib Bourguiba sur Facebook nouvellement créée totalise plus de 130.000 fans, dépassant celles de tous les partis politiques, personnalités tunisiennes et même celles du Club Africain ou de l'Espérance Sportive de Tunis (dont les pages existent depuis bien longtemps) et même celle du martyr Mohamed Bouazizi. De même, les Tunisiens lisent les mémoires de Béji Caïd Essebsi, Le bon grain et l'ivraie, publiées il y a deux ans (le 9 avril 2009) en français et qui ont battu un record de ventes en librairie (dans leur catégorie) avec 7.000 exemplaires. D'aucuns, les éternels sceptiques, auto proclamés «défenseurs de la révolution», pensent que cette «campagne» pro-bourguibiste n'est pas innocente et qu'elle est probablement orchestrée par un clan néo-bourguibiste, ou même néo-ben aliste, emballé dans un pseudo-bourguibisme. On pourrait s'interroger sur les objectifs de ce pseudo-clan. Faire découvrir ou redécouvrir Bourguiba mènerait à quoi ? A faire revivre le Néo Destour ? Le RCD ? Allons donc ! Le bourguibisme n'était pas une idéologie, ni une doctrine. Ses qualités et ses défauts étaient reliés à un seul homme, qui, contrairement à Ben Ali, a laissé s'épanouir d'autres hommes de qualité qui ont, du reste, exprimé leurs désaccords sur certaines questions et l'ont quitté pour former d'autres partis. Ces hommes, les Tunisiens les retrouvent aujourd'hui. Comme M. Caïd Essebsi, adopté par une majorité de Tunisiens, confortés par la présence d'un homme d'Etat. Peu importe les motivations réelles, spontanées, ou orchestrées de ces retrouvailles avec l'ancien «Combattant suprême», «Zaim», «Père de la Tunisie» moderne. Cette évocation qui est aussi l'expression d'une quête de leader, en l'absence de tout leader crédible, se comprend aussi par l'absence de repères. Et les Tunisiens ont besoin de repères. Et Bourguiba en propose beaucoup. Par exemple : il ne croyait pas au «tout ou rien», il croyait et défendait une politique de l'action en fonction des possibilités réelles et non des aspirations. Cette fameuse politique des «étapes» qui l'a amené à plusieurs succès devrait être méditée par nos adeptes du «tout, maintenant». Autre conception impérative, qui irait dans l'esprit de la révolution : «le contact direct» avec la population, seule possibilité de connaître les problèmes et les aspirations du peuple et de le faire participer, au lieu de le marginaliser et de s'improviser son «porte-parole». Il y en a d'autres bien sûr, et chacun retiendra ce qu'il voudra bien. Même si on veut bien en oublier. Certains semblent s'inquiéter de cette recherche du «père perdu». Mais il n'y a rien à craindre, car l'on n'a qu'un père, fût-il «père de la nation».