L'initiative prise par le Club «Sans parti pour une patrie», animé par notre consœur Noura Borsali, d'amener Rached Ghannouchi, président du parti Ennahdha et la professeure Neila Silini, docteur d'Etat, spécialiste de civilisation islamique à la faculté de Sousse et auteur de rapports du Pnud «Pour la liberté de la femme dans le monde arabe», en 2004 et en 2005, à débattre ce 16 avril, à l'Espace El Hamra, a été saluée par les intervenants comme l'expression d'une volonté d'asseoir une culture du dialogue. Devant une salle comble et devant un auditoire composé de jeunes et moins jeunes et d'un nombre important de femmes, l'animatrice, avec la maîtrise dont elle est coutumière, énonça la problématique propre à ce débat et qui est par ailleurs la question que se pose beaucoup de Tunisiens à savoir la dualité du discours du parti Ennahdha et c'est ce que l'universitaire, Neïla Silini s'est appliquée à démontrer en se référant au texte de la demande d'autorisation du parti Ennahdha, pour l'obtention de son visa, qui est «tellement général que l'on pourrait aisément, si on ne se réfère pas au nom du parti ,croire qu'il s'agit là du parti Ettajdid ou de n'importe quel autre parti qui se revendique de la démocratie et de la liberté... c'est bien là ce qui m'intrigue ce texte ne mentionne pas votre référentiel, la Chariaâ» Et la conférencière d'ajouter «En droit islamique, les manifestations sont interdites car à l'encontre du principe d'obéissance à l'Emir ,de droit divin. N'y a-t-il pas une contradiction avec le principe de liberté dont vous vous revendiquez ?» l'autre contradiction relevée par la conférencière est celle relative à un enseignement qui ne serait prodigué qu'en arabe alors que l'ouverture sur le reste du monde appelle nécessairement la maîtrise d'autres langues ! Sans se départir d'un sourire empreint de sérénité, Rached Ghannouchi a tenu à préciser que «l'Islam est une quête de la vérité et que personne ne peut prétendre la détenir surtout qu'en Islam il n'y pas de clergé ! Il a admis que le texte de la demande d'autorisation est assez général, mais il a ajouté. Ce n'est pas le cas du programme sur lequel nous planchons et avec lequel nous nous présenterons aux élections et qui comprend des rubriques politique, économique, sociale etc.…»! La conférencière est revenue sur d'autres points relatifs aux principes de l'Islam qui nécessitent d'être révisés notamment l'égalité entre les humains de sexe différent ou encore de la nécessité d'avoir une lecture en phase avec notre histoire contemporaine. Malgé une certaine effervescence dans la salle, et la nécessité pour les organisateurs de rappeler le devoir de dialogue, le président du parti Ennahdha déclara d'une voix calme que 91 % de la loi islamique est susceptible d'être interprété et s'agissant des 9 autres, ce sont les piliers de l'Islam sur lesquels tout le monde s'accorde. Il a par ailleurs rappelé que le mouvement Ennahdha est un mouvement national tunisien, qui combine les valeurs de l'Islam et de la modernité loin des tendances salafistes d'un Ben Laden et qu'à la base de cette méconnaissance, c'est le sentiment de peur utilisé par l'ancien régime, car une seule réponse à cette crainte ou de savoir quelle garantie notre mouvement peut-il apporter au respect de la démocratie et des libertés, le garant c'est vous ! Et d'ajouter que nous sommes signataires du Collectif du 18 Octobre pour les Droits et les Libertés, qui réaffirme son adhésion pleine et entière à l'égalité entre les hommes et les femmes et sur la liberté de conscience. Au vu du nombre de questions qui fusèrent et relatives aux prêches politiques que tiennent les imams islamistes dans les mosquées, stigmatisant la laïcité, les droits des femmes et réclamant l'application de la Chariaâ, on a le sentiment que l'auditoire se pose la question s'il est prêt à parier sur leur sincérité. Les questions des présents portèrent notamment et par la voix de la chorégraphe et metteur en scène Raja ben Ammar sur l'expression artistique qui utilise le corps comme moyen ou «que propose votre parti pour protéger les minorités religieuses», ou la séparation du religieux du politique et la sphère privée de la sphère publique ou encore et surtout le souhait de comprendre les raisons de l'échec de toutes les expériences d'un pouvoir islamique. A toutes ces questions , Rached Ghannouchi a tenté d'expliquer la complexité de la situation, soulignant que le parti est loin d'être homogène mais «qu'il n'en demeure pas moins que la politique doit nécessairement se baser sur une vision claire des notions du Bien et du Mal et que nous sommes tous conscients de la finalité d'une politique immorale». Un débat passionné s'est poursuivi longtemps après que les conférenciers aient quitté la salle. La plupart des commentaires laissent penser qu'une certaine suspicion persiste. D'ailleurs avant de quitter la salle, une participante n'a-t-elle pas lancé ce cri «Puisque vous vous dites être ce que vous êtes, pourquoi n'avez-vous pas signé le Pacte républicain !»