Il appartient plutôt aux espèces rares, ce fruit ressemblant à un gros citron; il serait même leur ancêtre, selon les spécialistes. Né en Asie du Sud, en Inde plus exactement, le cédratier — l'arbre qui donne notre fruit, le cédrat — était connu en Mésopotamie trois siècles avant l'ère chrétienne. Il a précédé le citronnier dans notre région euro-méditerranéenne de plus d'un siècle et encore d'autres siècles pour le reste des agrumes. Son nom d'origine est encore plus lointain. Les hébreux l'ont appelé étrog, les Arabes, leurs cousins, itranj (d'où certainement notre tronj actuel). Le tronj est un gros fruit dépassant parfois les 25 cm de longueur et pouvant peser jusqu'à quatre kilos pour certaines variétés. Comme son cousin le citron, il appartient au genre citrus, de la famille des rutacées. La variété que nous rencontrons chez nous est appelée par les botanistes citrus medica; elle est parmi les plus anciennes et les plus rustiques. De forme souvent irrégulière, le cédrat a une peau (zeste) rugueuse, voire verruqueuse parfois. La couche intérieure de l'écorce est blanche et spongieuse; elle est très épaisse par rapport aux autres variétés d'agrumes. Le tronj a cette particularité d'avoir un zeste très volumineux par rapport à la chair. Celle-ci est divisée en plusieurs quartiers plutôt longs, ils peuvent être avec ou sans pépins selon les variétés. Peu juteux et acides, leur saveur est difficilement appréciable. Leur couleur jaune verdâtre ne semble pas très alléchante à première vue. Mais le cédrat sent bon. Il dégage un parfum presque neutre, fin et délicat. Seul avec le citron ayant régné sur les tables méditerranéennes antiques, les Romains ne connaissaient que lui. Par la suite, il a commencé à être concurrencé par les autres agrumes. Et depuis, il a dégringolé, mais a tenu bon dans certaines îles de la Méditerranée comme la Sardaigne et la Corse voisines. Chez nous, il continue à vivoter dans les jardins au Cap Bon, à La Soukra ou peut-être encore à La Manouba. Mais la majorité des Tunisiens ne se rendent parfois compte, ni de son arrivée sur les marchés ni de sa disparition, tellement il se raréfie. Nos voisins du Nord ont peut-être plus de souffle que nous. Ils sont certainement «téméraires». La Corse, par exemple, bien qu'elle se soit spécialisée dans les clémentines, dont elle a fait un label, elle continue à être un des plus gros producteurs de cédrat. Le tronj n'est presque jamais consommé tel quel. Dans beaucoup de pays, il n'est pas vendu frais. Il est surtout proposé confit ou même conservé dans de l'eau de mer, assurément, pour lui conserver son éclat et augmenter sa longévité. S'il est prédestiné à la parfumerie, le cédrat n'en n'est pas moins utilisé dans la cuisine. Chez nous, nous l'utilisons, à l'instar de la bigarade (aranj) soit en marmelade (kh'chef), soit en confiture (maâjoun). Ailleurs, l'imagination est plus fertile. Présenté sous son aspect décoratif dans une belle corbeille de fruits, ou utilisé comme un grand parfumeur des garde-robes. Il est aussi très apprécié dans la confiserie ou la pâtisserie, dans les gâteaux, les biscuits et les puddings. Il est de plus en plus associé, comme c'est le cas pour de nombreux agrumes, aux mets salés auxquels il procure un ajout de délicatesse et de finesse. Si le tronj, à cause, entre autres de sa rareté, ne nous inspire pas beaucoup dans nos arts culinaires, il a hissé l'étendard de notre pays à l'étranger et surtout en Europe du Sud avec notre autre liqueur nationale : la cédratine, sœur jumelle de la cédratine corse et présente chez nombre de liquoristes méridionaux. Dans la cédratine de Tunisie, l'arôme du cédrat, bien qu'il soit difficile à saisir, n'en n'est pas moins présent. Par contre, celui des herbes aromatiques est fortement perceptible, ce qui lui donne un goût bien singulier. Où trouver le cédrat? Difficile à dire, tellement cet agrume nous joue des tours de cache-cache. Ce dont nous somme sûrs, c'est que sa saison dure encore ces jours-ci. Faisons un petit tour du côté des vergers du Cap Bon pour pouvoir nous en procurer quelques kilos ou même seulement quelques pièces. Parfumons nos buffets avec le cédrat et, pourquoi pas nos cuisines, à moins que l'envie ne nous dicte une autre utilisation; par exemple une marqa zaâra (ragoût blond) avec la chair d'un jeune agneau avant qu'il ne devienne trop gras, accompagné de raisins secs, sans ajouter de sucre, puisque nous allons le consommer instantanément. Le sucre était rajouté en fin de cuisson par nos grands-mères afin de mieux conserver la préparation. Nous n'en avons plus besoin maintenant, les techniques du froid, nous évitant l'altération de toute denrée alimentaire, quelle qu'elle soit.