Les cinéphiles oisifs et les défenseurs du cinéma national peuvent se réjouir. En ce mois de mai 2011, quatre mois après le fameux 14 janvier, trois films font déjà l'actualité : “Images saccadées” de Habib Mestiri sorti dans les salles, “Plus jamais peur” de Mourad Ben Cheikh, en sélection officielle à Cannes, et “Tahar Cheriâa à l'ombre du baobab”, un portrait documentaire réalisé par Mohamed Chalouf et monté par Kehena Attia, et qui sera projeté aujourd'hui, vendredi 13 mai à 10h30, au Marché du film du festival de Cannes, dans le cadre d'un hommage à notre théoricien du cinéma, fondateur des JCC, de la Fédération tunisienne des ciné-clubs et extraordinaire défenseur du cinéma africain. Ces trois documentaires ont quelque chose en commun : l'intention. Leurs auteurs ont été motivés par quelque chose de très important : le devoir de mémoire. En racontant l'histoire de la FTCA (Fédération tunisienne des cinéastes amateurs), Habib Mestiri a évoqué celle de tout un pays. En filmant la révolution, Mourad Ben Cheikh communique la leçon pour les générations à venir : plus jamais peur de dire “non”. Et, en réalisant le portrait d'un fondateur, Mohamed Chalouf ouvre les yeux de ceux qui ne voient plus, sur les richesses de notre continent, et sur l'importance de la diversité culturelle. A l'ombre du baobab Le baobab n'est autre qu'un arbre africain qu'il est malvenu—ce serait un sacrilège—de couper. Arbre typique de l'Afrique tropicale sèche, il est l'emblème du Sénégal et il est sacré pour plusieurs cultures. Lors des festivals africains, Tahar Cheriâa aimait se mettre à l'ombre du baobab, en compagnie de ses amis les cinéastes et les théoriciens, pour discuter jusqu'au matin de l'avenir du cinéma du Sud. Mohamed Chalouf, que nous avons rencontré la veille de son départ à Cannes, se souvient de ces jours heureux comme si c'était hier : “J'étais parmi les rares qui étaient admis dans le groupe.” Tahar Cheriâa voyait-il sa jeunesse dans Mohamed Chalouf ? Ce dernier, en tout cas, se dit le fils spirituel de “Am Tahar”. “Il était mon ami et mon maître. C'est à son école que j'ai compris les implications de la diversité culturelle ; il m'a ouvert les yeux sur les richesses des civilisations de notre continent et m'a initié au dialogue inter-africain”, confie-t-il. D'ailleurs, nous avons connu Chalouf (ses amis l'appellent ainsi), lorsqu'il vivait en Italie. Parallèlement à ses études à l'Université italienne pour étrangers, il crée en 1983, avec l'aide d'un groupe d'amis, les Journées du cinéma africain de Pérouse, premier festival dédié au cinéma africain en Italie. Depuis 1990, il est l'organisateur de la manifestation culturelle “L'ultime Caravane”, initiative pluridisciplinaire dédiée à la promotion des cultures du continent africain. En 1992, Chalouf publie son premier livre photographique intitulé “Les enfants du sud” en hommage à l'enfance en Afrique, dont les photos ont été exposées dans une trentaine de villes d'Afrique et d'Europe. Formé à la FEMIS (Fondation européenne des métiers de l'image et du son) en matière de production, il coécrit et produit “Les Italiens de l'autre rive”, un documentaire réalisé par Mahmoud Ben Mahmoud sur la mémoire de la communauté italienne de Tunisie. Il produit également "Anastasia de Bizerte" pour le même réalisateur. Ce film, sélectionné par la Mostra Internationale d'Arte Cinematografica de Venise, raconte l'histoire des 6.000 réfugiés de la marine impériale russe qui, fuyant la révolution bolchévique, ont atterri à Bizerte. Depuis 1996, Mohamed Chalouf s'occupe de la programmation en marge du Festival du Cinéma Africain, d'Asie et d'Amérique latine à Milan. En 2001, le disciple de Cheriâa passe à la réalisation avec “Ouaga, capitale du cinéma”, un film qui a été sélectionné à Venise et diffusé sur Télé+ et Rai 3. En 2005, il crée les rencontres artistiques de Hergla, une manifestation dédiée à la promotion du court métrage et du documentaire d'Afrique et de la Méditerranée. Cette manifestation est également une plateforme pour le dialogue entre le nord et le sud du Sahara et entre les deux rives de la Méditerranée. Vingt-cinq ans après sa rencontre avec Tahar Cheriâa, celui qu'il considère comme son maître, Chalouf s'engage dans la réalisation d'un projet auquel il pensait déjà depuis longtemps, ce docu-portrait à travers lequel il raconte aux nouvelles générations les qualités de cette grande personnalité culturelle dont la notoriété dépasse de loin les frontières de la Tunisie et qui est devenue un véritable symbole de l'émancipation culturelle en Afrique. La projection de ce film, qui n'est pas totalement achevé, est organisée par l'Organisation Internationale de la Francophonie, en association avec le ministère de la Culture, l'Institut français de coopération, la Chambre syndicale des producteurs de films, l'Association des cinéastes tunisiens et Caravanes Productions.