Vendredi à El Teatro, une quarantaine de journalistes français du Nouvel Observateur, de l'Express, du quotidien Le Monde, de Libération, du Figaro, de France 2 et autres fines plumes (voir le casting dans notre édition du jeudi 12 mai), se sont rencontrés avec leurs confrères tunisiens et un public intéressé pour débattre d'un sujet chaud : Quel journalisme aujourd'hui en Tunisie ? Vaste programme, presque impalpable tant les formes du sujet débordent, fuyant de tous côtés. Un fleuve en crue! Annick Cojean, grand reporter au Monde et présidente de l'Association du Prix Albert Londres, était abasourdie et ravie, de voir , une fois la parole donnée au public, la forêt de mains se lever en salle pour témoigner, attester, signaler, juger et proposer. Au sujet de ceux qui ont retourné de veste ? Jean Claude Guillebaud , chroniqueur au Nouvel Observateur renforce le chapitre par une citation de Georges Bernanos «Le mensonge a changé de répertoire» . Sur la ligne éditoriale, toujours Bernanos «Je ne connais qu'une seule ligne, celle des rails» la liberté de la presse ? Le même Guillebaud «Si vous savez, combien il est difficile de vivre avec, c'est au journaliste d'ériger les balises pour faire bon usage de la liberté». A la défaillance de l'Ecole de journalisme citée par Larbi Chouikha, enseignant et politologue, «je ne crois pas beaucoup à l'enseignement du journalisme, un professionnel c'est une passion, doublée d'un esprit curieux»répond Christophe Ayad, Grand reporter à Libé ayant couvert la révolution tunisienne. Le temps était court, les points de vue vifs. Constat amer «A un niveau de fond comme de forme, les médias n'ont pas changé, aux termes de Changement du 7 novembre s'est souvent substitué celui de Révolution, fait remarquer Christophe Ayad, texte à l'appui, l'apprentissage sera dur. Le thème de la rencontre est long à traiter. Qu'à cela ne tienne «On reviendra vous accompagner dans vos rédactions ou en dehors, nous enrichirons ces débats ensemble, l'actualité l'exige, nous nous verrons encore et échangerons nos idées» suggèrent les hôtes. L'enthousiasme est visible tant le chantier pour l'assise d'une presse libre s'annonce démesuré. Les lendemains déchanteraient-ils ? Deux lauréats, des reporters prisonniers Samedi 16heures : changement de scène, deuxième acte et dénouement. Le public est convié à assister à la remise des 27e prix Albert Londres au Théâtre municipal. Convenances d'usage, un climat lisse, sans remous, loin des débats du microcosme de la veille, l'esprit est à la fête. En grande ordonnatrice, Annick Cojean, ouvre large le registre de la cérémonie. Une pensée à nos confrères Hervé Guesquière et Stéphane Taponnier, emprisonnés depuis 501 jours en Afghanistan, un soutien et un appel à la libération de tous les journalistes dans le monde. Retour sur la vie d'Albert Londres «au départ, il fut poète devenu journaliste, un ton, un style, une plume et une générosité», la leçon qu'il nous lègue «On n'écrit pas pour se distraire, lui, a porté la plume dans la plaie» Elle s'épanche en bienveillances «Chapeau ! Votre révolution est magnifique, vous êtes La référence, votre voix porte au-delà de ce que vous pensez». Touchante de sincérité ! Les officiels au premier desquels, M. Haouas, ministre du Tourisme, Hassen Annabi, secrétaire d'Etat à l'Education sont invités à donner de la voix, l'histoire de la Tunisie est déployée avec éloquence, la première Constitution de Carthage, l'âge de la synagogue de Djerba, la troisième ville sainte , Mokhtar Trifi, président de la Ligue tunisienne des droits de l'Homme rappelle le silence terrorisé des journalistes avant le 14 janvier, les attentes du peuple. Tidiane Dioh, directeur de l'Organisation internationale de la francophonie, le directeur adjoint de l'Afp, le président de la Société civile des auteurs multimédia se sont relayés pour saluer le dur travail du journaliste et exalter la première révolution du siècle. Les discours, les collusions des mots, les digressions et témoignages ont rallumé les esprits. Ambiance. La remise des prix est accompagnée d'applaudissements, Emmanuel Duparcqu lit un extrait émouvant de son reportage évoquant la vie d'un enfant afghan dans la tourmente de la guerre, David André montre un passage de son reportage sur un condamné à mort en Oklahoma (Etats-Unis). La fête se clôt par des strophes de l'hymne national décliné dans une version d'opéra : deux couples de jeunes chanteurs tunisiens ont exécuté les strophes au rythme du piano. Public et organisateur ovationnent debout, les lendemains chantent aussi.