Correspondance spéciale A l'occasion des XXIes rencontres internationales du Théâtre méditerranéen, le Théâtre Toursky de Marseille a tenu d'abord à célébrer les poètes de la Méditerranée. L'occasion offerte en est la parution de l'anthologie «Les poètes de la Méditerranée». Un ouvrage de 953 pages consacré aux aèdes de vingt-quatre pays dont tous possèdent une façade, aussi étroite soit-elle, sur la mare nostrum. Cette nouvelle anthologie nous donne à lire et à entendre dix-sept langus «telles qu'on les écrit et qu'on les parle aujourd'hui». Yves Bonnefoy, qui concourt magistralement à cette introduction, nous indique que quatre générations de poètes vivants ont été choisis jusqu'à la date la plus récente qui soit, le 1er janvier 2010, à raison de cinq pages dévolues à chaque poète, sans distinction d'âge ou de notoriété. Au poème en langue originale, y figure en regard sa traduction française. A titre d'exemple — et en ce qui concerne la poésie tunisienne —, Al Sghaïer Ouled Ahmed y concourt, dans la langue arabe, par trois poèmes : Chants des Six Jours (1984), Je n'ai pas de problème (1988) et Au Sud de l'eau (1992). Yves Bonnefoy nous apprend aussi que «ce choix générationnel dépend de la longévité des poètes et des habitants du bassin méditerranéen». Ainsi, ajoute-t-il, «on vit plus longtemps en Europe de l'Ouest que dans les Balkans ou dans certains pays arabes». Soirée festive : au commencement était Chebbi Vendredi soir, onze pays concouraient à la déclamation de leurs poètes favoris, dans leurs langues respectives, à travers la lecture des textes en français de Richard Martin, Jean Poncet, Tania Sourseva et Francis Combes. Cette merveilleuse joute poétique était accompagnée aussi par des musiciens hors pair tels que Fatos Qerimaj (clarinette), Alessandro Nosenzo (guitare) et le chaleureux percussionniste Bami Jean Tsakeng. Et c'est la Tunisie qui ouvrait le bal, «au nom de la Révolution tunisienne», clamait haut et fort le directeur du Théâtre Toursky pour qui notre poète national Abulkacem Chebbi demeure encore l'étendard de cette révolution de la jeunesse tunisienne. Une lecture de «‘L'Hymne à la vie», proposée par Fredj Chouchane, a ému l'assistance à plus d'un titre. S'ensuivaient alors de merveilleuses ballades poétiques sur l'eau calme et sereine de cette Méditerranée enfin retrouvée, «ce toit tranquille où dorment les colombes», comme le déclamait naguère Paul Valéry. La Roumanie prend le relais avec Constantin Chiriac où l'on perçoit les caractéristiques géoculturelles, les passions étouffées mais resurgissant à chaque vers recommencé ; le Liban ou Vénus Khoury Ghata lisant debout, comme un soldat de l'ombre et de la lumière pour magnifier le pays du Cèdre malgré ses incessantes douleurs ; l'Italie avec Giuseppe Contre et la Grèce de George Poulopoulos d'où s'élève le chant profond de la Méditerranée, celui des tumultes de la sagesse et de la solidarité retrouvée... Un voyage à travers une poésie de pur jus, engagée jusqu'au bout, terrifiante de liberté, nourrie des riches heures des histoires respectives des populations riveraines de cette Méditerranée comme de la violence de leur histoire moderne. L'Algérie d'Aresky Benaceur et celle de Jordan Plevnes de Macédoine, les attentes fébriles d'Ahmed Massaia, l'aède marocain ; Emilio Garrido et la poésie ibérique, comme une arme toujours chargée de futur contre les intolérances et les dictatures sans oublier l'Albanie qui se décline à travers des vers incisifs et courts pour s'ancrer dans sa pleine nostalgie des lieux de cette rive Est de la Méditerranée à travers la voix d'Alfred Bualoti. Enfin enfin... la poésie persane au goût d'ivresse sans retenue, le vin et ses passions dans le verbe de Khayam à travers la voix de Saïd Assadi. Un beau voyage à travers la Méditerranée des poètes. *Préface d'Yves Bonnefoy.Ed d'Eglal Errera