• Attention à la marge d'erreur Deux sondages d'opinion viennent d'être réalisés à quelques jours d'intervalle. Le premier, du 21 avril au 2 mai, sur «les Tunisiens, la politique et les élections» et qui a touché un échantillon de 1.304 individus de 18 à 80 ans. Cette enquête a été réalisée «sur terrain selon la méthode des quotas à plusieurs degrés en retenant comme variables de stratification la région, le genre, l'âge et la catégorie socioprofessionnelle». Le second, du 5 au 11 mai, sur «les Tunisiens et la religion» et qui a porté sur un échantillon de 948 individus «selon la méthode quotas portant sur le gouvernorat d'habitation, le sexe, l'âge et la catégorie socioprofessionnelle des individus de 18 ans et plus». Parmi les questions posées dans les deux sondages, celles concernant l'intention de vote chez les Tunisiens. Le premier sondage révèle que 83.2% des Tunisiens ne savent pas encore pour qui voter. Alors que le second situe le taux de ceux qui n'ont pas encore fait leur choix, c'est-à-dire les indécis, à 36%. Mieux encore, une personne sur cinq (20.5%) déclare, dans le premier sondage, être non intéressée par les élections de la Constituante contre 12.5% dans le second. Les résultats, comme on le voit, sont loin d'être concordants. Ils sont venus ajouter à la confusion et semer le doute dans les esprits des Tunisiens qui ne sont pas préparés à ce genre d'enquêtes qui sont censées «apporter des éclaircissements utiles et servir de base à des choix». Il est vrai qu'en Tunisie, nous n'avons pas de tradition d'enquêtes politiques qui commencent à fleurir en cette période pour mesurer l'impact de la révolution sur les Tunisiens, sonder leurs soucis et leurs attentes pour la période à venir, obtenir des réponses quant à leurs intentions de vote…Bref, nous renvoyer une image réelle de la population. Certains médias s'y adonnent de manière assez régulière auprès de leurs auditeurs et téléspectateurs, mais ils doivent éviter toute confusion en précisant qu'il ne s'agit pas de l'ensemble des Tunisiens d'autant plus que les sondages express ne se basent pas sur des critères scientifiques. Un sondage, aussi fiable soit-il, contient une marge d'erreur qui pourrait varier de 3 à 5%. C'est même un principe dont on doit tenir compte, notamment dans les élections. Les instituts de sondage français, voire américains, l'ont, à un moment ou à un autre, vérifié à leurs dépens. La date du 21 avril 2002 est restée en travers de la gorge de tous les instituts français qui se sont plantés sur les résultats du premier tour des élections présidentielles dont aucun n'avait prédit l'élimination du candidat socialiste à l'époque, Lionel Jospin, au profit de Jean-Marie Le Pen, le candidat du Front national. Toujours est-il que les sondages politiques sont devenus des ingrédients nécessaires pour toutes les démocraties. Aussi bien hommes politiques que partis y recourent souvent pour mesurer leur audience et leur degré de confiance auprès des électeurs. A l'ère des démocraties de communication, «tous les politiques travaillent à partir de sondages de façon continue et calent leur discours et leur prise de parole en tenant compte de ces paramètres», concède un politologue français. Comment administrer un sondage ? Pour avoir des réponses précises, l'instrument le plus valable demeure le questionnaire qui permet «d'obtenir des évaluations précises et impartiales sur ce qui est mesuré». Comment alors réaliser un sondage d'opinion ou une enquête à base de questionnaire ? Quels sont les critères requis et quelles sont les règles à respecter ? Quelles sont les étapes nécessaires pour une bonne administration? L'enquête par questionnaire se prépare comme on prépare un vrai projet. Elle requiert un certain nombre de préalables pour aboutir à des résultats qui reflètent la réalité des choses. On commence d'abord par définir les objectifs de l'enquête qui doivent être formulés dans un objectif principal et dans quelques objectifs secondaires. Ensuite, on doit définir le public cible et choisir l'échantillon qui «désigne un sous-ensemble d'individus extraits d'une population initiale», c'est-à-dire une fraction de la population. Celui-ci doit obéir à un certain nombre de règles afin de s'assurer de sa représentativité. Sans trop entrer dans des détails techniques, l'échantillon peut, généralement, être choisi selon la méthode aléatoire qui consiste à tirer au sort les personnes à interroger ou selon la méthode des quotas qui consiste à «interroger un échantillon proportionnellement similaire à la population de référence. Les critères habituellement retenus sont le sexe, l'âge, la catégorie socioprofessionnelle et la répartition géographique». Et même si la taille de l'échantillon ne détermine pas toujours la fiabilité des résultats, il est souvent recommandé d'élargir le nombre de personnes interrogées pour réduire la marge d'erreur à sa plus simple proportion. L'élaboration des questions obéit à son tour à la rigueur scientifique et elles doivent refléter, de par leur clarté et leur simplicité, les objectifs assignés à l'enquête et surtout être compréhensibles pour toutes les personnes, indépendamment de leur niveau d'instruction. Mais l'étape la plus difficile, c'est l'administration du questionnaire qui nécessite des moyens humains et matériels importants. Quatre modes sont généralement utilisés, avec chacun ses avantages et ses inconvénients. Le face à face qui assure la réelle représentativité de l'échantillon mais qui demande plus de temps et d'argent. L'utilisation du téléphone est le moyen le plus couru parce que plus simple et plus rapide qui remplace le courrier longtemps utilisé mais dont les résultats n'étaient pas tout à fait assurés à cause du retard qui en découlait et de la fiabilité des réponses. Avec l'apparition d'Internet, beaucoup d'instituts commencent à y recourir de plus en plus parce que ce type de sondage est moins onéreux. Mais quel que soit le moyen choisi, un minimum de temps et d'argent sont nécessaires si l'on veut obtenir des résultats fiables. Entre la définition des objectifs, l'élaboration des questions et la réalisation du sondage et l'analyse des résultats, les experts recommandent trois à quatre mois. Toutefois, il faut reconnaître à nos instituts de sondage cette pratique délibérée de se lancer dans ce genre d'entreprise animés qu'ils sont par la volonté de bien faire afin d'éclairer la lanterne du public et des hommes politiques. Car cette nouvelle culture qui commence à faire ses premiers pas chez nous doit être instaurée sur des bases solides pour favoriser un climat de confiance qui permet d'appréhender l'avenir politique avec plus de sérénité et gagner en crédibilité auprès de l'opinion publique. Aussi faut-il penser à réglementer ce genre d'enquêtes pour lui assurer la transparence requise.