Août 2010, date de la publication d'un rapport officiel par un laboratoire de recherche en économie tunisien, dans la revue N° 67 du Centre international des hautes études agronomiques méditerranéennes (Ciheam). Ce rapport analyse la pauvreté et le niveau de vie de la population rurale en Tunisie en commençant par cette introduction, où son auteur dit: «La Tunisie connaît depuis des années une importante croissance économique accompagnée d'une réduction remarquable de la pauvreté, ce qui a permis d'améliorer les conditions de vie de la population. Elle est, en effet, l'un des pays arabes où le taux de pauvreté est le plus bas». Attiré par cette introduction, on s'est concentré un peu plus sur ce rapport, où il expose, entre autres, des statistiques tirées de l'Institut national de statistique (INS). D'après ces statistiques, le taux de pauvreté en Tunisie est de 3,8% en 2005, réparti comme suit: 1,4% dans le Grand-Tunis, 2,7% dans le Nord-Est contre 3,1% dans la partie ouest; quant au Centre-Est et Ouest la répartition est, respectivement, de 1,2% et de 12,8% (ainsi le Centre-Ouest connaît le taux de pauvreté le plus élevé) et finalement 3,8% et 5,5% sont les taux répartis entre le Sud-Est et le Sud-Ouest. L'exposition de ces chiffres montre une bonne santé de l'économie tunisienne, et, surtout, elle met en valeur la notion d'une répartition quasi équitable de la richesse et de la croissance réalisée en Tunisie, à part quelques régions du Centre-Ouest. Ces constatations nous rassurent quant à la politique économique tunisienne depuis plusieurs années sur tous les plans : croissance répartie d'une façon optimale et équitable, développement rural en dynamique positive… Donc, on n'a pas intérêt à changer aujourd'hui de stratégie ou à mobiliser de fortes sommes d'argent, à travers l'accompagnement des bailleurs de fonds importants, pour financer des méga-projets de développement. Or, une petite observation de la situation montre des incohérences remarquables entre la réalité et ces chiffres. Par conséquent, on s'est posé la question, d'un point de vue scientifique, quant à la méthode de détermination de ces chiffres qui montraient la bonne santé économique de la Tunisie. D'habitude, une approche économique quantitative se base en premier lieu sur l'identification des variables exogènes et endogènes du modèle choisi, sur leurs significativités statistiques, et surtout sur leurs capacités de nous fournir de bonnes interprétations proches de la réalité. Ces variables sont injectées par la suite dans un modèle économétrique ou mathématique, en général, afin de quantifier la situation économique posée et de pouvoir apporter des analyses constructives. Cependant, un mauvais choix des variables, ou bien un choix limité qui ne modélise pas toute la réalité économique, pourrait nous conduire à des résultats insuffisants et à des analyses, par la suite, factices. Suite à ces questions de méthodologie suivie, nous avons concentré nos recherches et nos lectures sur les approches de la modélisation et de la détermination du taux de pauvreté en Tunisie. Parmi plusieurs articles scientifiques, on s'est focalisé sur deux articles, l'un publié en 2006 traitant une approche non monétaire et l'autre publié au cours de la même période caractérisé par une différence de méthodologie avec le premier, tout en remettant en cause les approches unidimensionnelles qui tiennent compte uniquement de la variable monétaire. De telles approches exclusivement monétaires fixent la barre de la pauvreté très bas, et par conséquent les taux de pauvreté déduits du modèle seront très faibles, tels que le taux exposé au départ qui montre que le taux de pauvreté en Tunisie est de 3,8%. Les arguments ont été fournis dans l'approche de Sen (1985, 1987) qui montre que même si le revenu est instrumentalement important, d'autres mesures de bien-être, tel le statut nutritionnel, sont intrinsèquement importantes (Ayadi, El Lagha, Chtioui, mai 2006). Comme réponse à cette thèse, cet article a proposé la construction, à travers des méthodes statistiques, un indice composite de bien-être (IBCE). Les auteurs ont retenu 11 attributs classés selon trois rubriques. La première rubrique traduit la possession des biens durables, quant à la deuxième, elle traite les conditions du logement, et finalement l'éducation fait l'objet de la troisième rubrique. En traitant dans un modèle économétrique spécifique ces attributs et cet indice IBCE, les auteurs montrent un taux de pauvreté global en Tunisie de 23,2% en 2001, contre un taux de 4,2% pour la même période, présenté par l'INS. Sur cette même voie, dans leur article, M. Ghazi Boulila, M. Chaker Gabsi et M. Mohammed Haddar ont mis en évidence les sérieuses limites que présente une approche exclusivement monétaire pour l'estimation du taux de pauvreté. Via une approche statistiquement différente de celle exposée précédemment, les auteurs de cet article proposent, dans un premier temps, de mesurer la privation des différents attributs pour chaque individu. Dans un deuxième temps, ils ont agrégé ces indicateurs pour obtenir un indice multidimensionnel de pauvreté pour l'ensemble de la population. Les attributs qui composent cet indice se divisent en deux rubriques : des attributs représentant la possession des biens durables et d'autres exposant les conditions des logements. En injectant ces variables dans un modèle spécifique, les auteurs ont trouvé un taux de pauvreté de 26,9% contre uniquement un taux de 7% en suivant une approche unidimensionnelle. Suite à ces recherches faites et à ces analyses, on constate que le taux de pauvreté réel estimé croît d'une manière exponentielle en intégrant d'autres variables significatives, mettant, ainsi, en évidence les défaillances des techniques statistiques qui conduisent à des taux de pauvreté très faibles, tels que le taux présenté par l'INS en 2005, à savoir 3,8%. Certes, au cours de cet article, on s'est concentré sur la mise en cause des taux de pauvreté déclarés et des approches utilisées pour avoir de tels taux si bas. Cependant, aujourd'hui, notre problème est loin d'être statistique ou scientifique, c'est un problème social, vu que notre réalité dit qu'environ 25% de la population tunisienne vivent dans la pauvreté. En d'autres termes, 25% de notre population ne contribuent pas à la croissance économique du pays. La solution aujourd'hui doit sortir du cadre théorique et des études statistiques pour faire face à la réalité. En effet, il faut se mobiliser pour lancer des projets dans les zones rurales. Il faut encourager un développement durable et régional. Il faut faciliter le transport entre les régions et, surtout il faut se lancer dans des mécanismes de délocalisation. Certes, plusieurs solutions économiques peuvent figurer, et on ne cesse de lire et d'entendre les idées constructives, en ce temps de crise. Mais personnellement, je vois que le problème de la pauvreté est un problème humanitaire avant qu'il soit économique. Nos futures générations doivent avoir le sens d'aider l'autre, elles doivent sentir la responsabilité envers leurs compatriotes pauvres. Pour cela, il faut dès aujourd'hui, travailler sur une solution de sensibilisation, outre les solutions économiques. Il faut sensibiliser nos enfants d'aujourd'hui et nos enfants de demain pour faire face à ce grave problème social. Pourquoi la sensibilisation ne se concrétise pas à travers un musée appelé le musée de la pauvreté ? Un musée qui racontera, à chaque visiteur, la misère vécue dans les zones rurales de notre pays. Un musée qui exposera des photos, des films, des documentaires et des livres sur la pauvreté en Tunisie. Et peut-être un jour, ce musée serait le musée de la volonté tunisienne, lorsque le taux de pauvreté toucherait les 3,8%.