Par Soufiane BEN FARHAT Deux bonnes nouvelles annoncées ces deux derniers jours : «l'Instance supérieure indépendante pour les élections a annoncé, dans un communiqué rendu public mercredi, la fixation de la composition, de la structure et de la mission des instances régionales pour les élections. Cette décision a été prise conformément aux dispositions de l'article 5 (dernier alinéa) du décret-loi n° 27 en date du 18 avril 2011». Par ailleurs, «le Conseil de la Haute Instance pour la réalisation des objectifs de la Révolution a adopté le décret relatif au découpage électoral et à la répartition des sièges en fonction des circonscriptions pour les élections de la Constituante. 218 sièges seront désignés au sein de l'Assemblée nationale constituante dont 19 réservés aux Tunisiens à l'étranger. Le nombre des circonscriptions électorales a été fixé à 33 circonscriptions (27 en Tunisie et 6 à l'étranger)». Soit. Nous sommes encore dans les délais, se dit-on de prime abord à part soi. Seulement, l'on se reprend aussitôt : quels délais ? Franchement, on ne s'y reconnaît plus. Après la levée de boucliers quasi-générale sur la date des élections, motus et bouche cousue. Silence radio. Même les protagonistes de la surenchère médiatique semblent s'être résignés au mutisme. De guerre lasse ou en désespoir de cause ? Mystère et boule de gomme. Les interrogations fusent. En fait, les conciliabules interpellent le silence. On a pu le deviner. Ou bien on en a été informé par fuites interposées. Seulement, ceux qui ne sont pas dans le secret des dieux ne l'entendent pas ainsi. A leurs yeux, le manège de la classe politique est étrange. Et ils ont raison de le croire. Comment expliquer autrement les flambées intermittentes d'échanges pointus entrecoupées de subites accalmies ? L'opinion commune n'a pas le réflexe des philosophes. Le doute anticipe inéluctablement la perte de confiance, unique certitude des consciences fourvoyées entre la chose et son contraire. Dans les processus électoraux surtout, les gens se méfient viscéralement de ce qu'ils ignorent. A leurs yeux, l'opacité préfigure le coup tordu. Certes, on n'en est pas là chez nous. Mais, à l'échelle de la représentation commune, ce n'est point si loin de la machination douteuse. En fait, disons-le sans ambages, la classe politique tunisienne évolue sur le fil du rasoir. Paradoxalement, la liberté retrouvée inaugure son baptême du feu. Et en politique plus qu'ailleurs, l'attentisme est suicidaire. Il faut courir deux fois plus vite pour espérer rester à la même place. Et lorsqu'il s'agit de toute une classe politique nouvelle –ou supposée être telle- on comprend l'ampleur de l'enjeu. Nos élites politiques étaient il y a peu réprimées, étouffées, tenues en laisse, marginalisées ou ignorées. Des hommes-liges, la voix de leur maître, s'abîmaient dans un simulacre perfide et pervers. Ils feignaient un jeu démocratique, malhabile et falot, où il y avait plus d'envers que d'endroit, davantage d'ombre que de proie. Aujourd'hui, la vapeur est renversée. La classe politique se retrouve d'emblée aux devants de la scène. Son profil, plus ou moins pertinent, engage sa crédibilité. Le nombre imposant de partis politiques (81 reconnus jusqu'ici tandis que des dizaines d'autres demeurent en instance de validation) en rajoute aux ingrédients du drame. Parce que drame il y a. Pour le citoyen lambda, les nouveaux prétendants doivent faire montre d'impact porteur et de réelle marge de manœuvre. Sinon, la simple figuration sent le roussi, la manœuvre en trompe-l'œil et autres astuces douteuses. Loin de le murmurer dans les secrets d'alcôve, les gens le clament haut et fort. Et à tout vent. C'est dire l'importance salvatrice de la fixation de la date définitive de l'élection de l'Assemblée constituante. Le plus tôt sera le mieux. Autrement, le suffrage, si tardif et problématique soit-il, sanctionnera en premier lieu la classe politique. Les conséquences probables, mieux vaut s'abstenir de les imaginer.