Peut-on avoir confiance en les observateurs internationaux qui supervisent les élections de l'Assemblée nationale constituante ? Les observateurs internationaux, bien qu'objectifs et neutres, pourraient néanmoins valider des élections qui ne seraient pas transparentes et démocratiques, contrairement aux exigences des normes internationales. Quelles garanties à mettre en place afin que les observateurs internationaux ne refassent pas le coup de leurs prédécesseurs qui exprimaient leur admiration et leur considération pour les élections organisées, durant plus de 23 ans, par le régime déchu et cautionnaient à l'unisson leurs résultats avec leurs taux amplifiés ? Ces interrogations et ces problématiques ont dominé le débat lancé, hier, à la faveur de la conférence internationale sur «Le rôle des observateurs internationaux pour des élections transparentes» organisée par le Centre des études méditerranéennes et internationales en partenariat avec la fondation allemande Konrad-Adenauer. Aussi, le Pr Ahmed Driss, directeur du Cemi (Centre des études méditerranéennes et internationales), pose-t-il d'emblée la problématique «d'accepter ou de ne pas accepter la présence d'observateurs internationaux à l'occasion de l'élection de l'Assemblée constituante qui représente un événement majeur pour la définition du futur démocratique de la Tunisie». «Le gouvernement transitoire a déjà tranché, souligne-t-il, en appelant l'Union européenne à dépêcher une mission d'observateurs qui auront pour charge d'accompagner l'opération électorale de la future Constituante durant toutes ses phases : inscription sur les listes électorales, proclamation des résultats, affichage des listes électorales, oppositions exprimées par les personnes dont les noms auraient été omis, campagne électorale proprement dite, couverture médiatique selon les normes internationales, organisation des bureaux de vote, opération de vote elle-même et dépouillement des bulletins». Quels avantages, quels inconvénients ? Dans son rapport introductif, le Pr Chafik Saied, doyen honoraire de la faculté de Droit et des Sciences politiques de Tunis, a essayé de brosser un tableau historique des différentes formes d'observation internationale des élections dans le monde, plus particulièrement dans les pays qui ont vécu ces dernières décennies des transitions démocratiques, à l'instar des pays de l'Europe de l'Est, de l'Amérique du Sud et de l'Afrique. «La résolution onusienne 45150 relative à l'observation internationale vise à renforcer le principe de l'organisation d'élections périodiques et honnêtes, loin de tout esprit d'atteinte ou de violation de la souveraineté des pays où se déroulent ces mêmes élections, souvent à leur demande dans la mesure où ils sollicitent une assistance technique pouvant prendre plusieurs formules : observation, accompagnement de toutes les étapes de l'opération électorale (budget, logistique, formation du personnel, etc.», précise-t-il. Quels avantages un Etat solliciteur de l'assistance électorale pourrait-il en tirer ? Le Pr Chafik Saied évoque la validation des élections, l'affirmation de la légitimité politique du pouvoir en place. Quant aux inconvénients qu'on pourrait déceler à travers les missions d'observation, on pourrait évoquer les incidences négatives qui peuvent résulter du comportement des observateurs outrepassant leurs prérogatives et exerçant une réelle ingérence attentant à la souveraineté du pays cible (exemple : l'opération «Restaurons la démocratie à Haïti»). Le Pr Ghazi Ghraïri, porte-parole de la Haute instance de la réalisation des objectifs de la révolution, est on ne peut plus clair, transparent et convaincant : «Il ne peut y avoir d'élections libres, transparentes et démocratiques sans la présence d'observateurs internationaux. Il y a un lien organique entre l'observation et la transparence des élections». L'Instance supérieure indépendante pour les élections, qui est une autorité publique agissant en toute autonomie et liberté, va accréditer des contrôleurs tunisiens qui seront chargés de la validation des résultats issus de l'opération de vote, des observateurs étrangers et des observateurs tunisiens qui seront recrutés parmi les associations citoyennes (l'Isie commence déjà à recevoir les demandes d'accréditation exprimées par les associations tunisiennes). Et le Pr Ghraïri d'ajouter que la loi électorale qui régira l'élection de l'Assemblée constituante dispose que «les observateurs internationaux doivent témoigner d'une expérience avérée et d'appartenance à des organisations et associations spécialisées qui ont fait leurs preuves. Toutefois, ces mêmes observateurs n'auront aucun droit de validation des élections». Il tient à clarifier la confusion qui règne dans certains esprits à propos des contrôleurs et des observateurs. Ainsi, insiste-t-il, les élections de la Constituante «se dérouleront sous le contrôle exclusif des contrôleurs tunisiens alors que les observateurs étrangers assureront une mission de supervision et de suivi ni plus ni moins». Un processus de partenariat et d'accompagnement M. Sorin Mihail Tanasescu, ambassadeur de Roumanie à Tunis, a relevé dans son intervention qu'une élection «bien organisée confère une grande légitimité au gouvernement qui en résulte et que les élections transparentes donnent beaucoup de force à l'Assemblée constituante». «Dans l'Union européenne, nous voulons que la transition démocratique tunisienne réussisse. La présence des observateurs étrangers ne comporte aucune atteinte à la souveraineté de la Tunisie. Ce n'est point un processus intrusif d'ingérence mais bien un processus de partenariat et d'accompagnement», affirme-t-il en soulignant sa conviction que la classe juridique tunisienne «réputée pour sa compétence et son savoir-faire saura trouver les solutions idoines aux problèmes liés à l'organisation des élections de la Constituante». Pour M. Samir Taïeb, membre de la Haute instance de réalisation des objectifs de la révolution, «la présence des observateurs étrangers contribuera à faire connaître les normes internationales en matière de transparence, renforcer la crédibilité, la légalité et la légitimité du processus électoral et fera atténuer la violence et les dérives». «Toutefois, les observateurs étrangers, ajoute M. Taïeb, doivent remplir certaines qualités dont en premier lieu le respect de la souveraineté du pays où ils exercent, l'objectivité et la non-intervention dans le débat politique national. Ils doivent éviter également de livrer des jugements sur des événements auxquels ils n'ont pas assisté et essayer de se tenir à l'écart des conflits d'intérêts». MM. José Antonio de Gabriel et Emmanuel Geny experts internationaux en matière d'élections, ont essayé de lever les inquiétudes et les doutes persistant dans certains esprits quant à la réalité des objectifs des missions des observateurs internationaux et aussi quant à leur indépendance. Ils ont notamment souligné que «cette inquiétude est légitime et compréhensible. Seulement, il faut lui répondre par la transparence et montrer que les observateurs sont réellement indépendants et œuvrent dans un cadre d'objectivité et de neutralité absolues, qualités essentielles des observateurs qui exercent leur mission comme l'entendent les normes internationales et le guide des bonnes pratiques, ainsi qu'un code de bonne conduite que tout observateur est appelé à signer avant d'entamer sa mission». M. Geny a annoncé que la mission d'observation de l'Union européenne sollicitée par le gouvernement provisoire comptera 66 observateurs, soit 32 équipes (chaque équipe comportant un observateur et une observatrice) qui proposeront au terme de leur mission un rapport général contenant leurs observations sur la marche des élections et leurs recommandations en vue d'apporter les rectifications requises et d'introduire les améliorations qui s'imposent.