• Iyadh Ben Achour appelle à une conférence nationale entre l'Utica et l'Ugtt • La liste des «mounachidines» sera maintenue secrète • Elections : exploiter le savoir-faire existant «J'appelle à une conférence entre l'Utica et l'Ugtt dans l'objectif d'améliorer le climat social dans le pays», cette initiative lancée par M. Iyadh Ben Achour, président de l'Instance supérieure de la protection des objectifs de la révolution, de la réforme politique et de la transition démocratique, hier au cours d'une rencontre organisée au siège de l'Utica autour de la transition démocratique, tombe à pic à un moment où les rapports entre les deux centrales, piliers de l'économie nationale, sont grippés. «Cette conférence, explique-t-il, devra permettre de renouer le dialogue, d'échanger les idées et de débattre des questions de l'heure qui préoccupent tous les Tunisiens». Les chefs d'entreprise présents ont exprimé leur inquiétude face à la situation qui prévaut actuellement dans le pays, situation marquée par l'incertitude et la confusion. Ils ont dénoncé «l'ostracisme qui les frappe et l'exclusion dont ils se sentent victimes, eux qui ont longtemps souffert, comme toutes les autres catégories sociales, du népotisme de l'ancien régime». Widad Bouchamaoui, qui a pris, provisoirement, la tête de la centrale patronale, a introduit le débat en appelant à la pleine participation de l'Utica dans la réalisation du processus en cours. «On ne peut pas se permettre d'exclure les hommes d'affaires de cette nouvelle dynamique qui caractérise la vie politique, sociale et économique du pays», déclare-t-elle, ajoutant que «nous devons tous ensemble participer à l'effort de reconstruction du pays sur des bases solides dans la transparence, la sincérité et la démocratie». Iyadh Ben Achour, qui se sent interpellé, préfère s'exprimer en tant que «citoyen et universitaire» et parler de «transition vers la démocratie et non de transition démocratique». Trempant dans l'ambiance patronale, il a appelé à la révision du système fiscal pour plus de justice et d'équité. «Il faut garder la balance droite entre les revendications sociales et les possibilités réelles de l'entreprise», dit-il en substance, rassurant les patrons quant au rôle qu'ils seront amenés à jouer en cette période difficile marquée par plusieurs aléas politiques et sociaux et des impondérables inhérents à toute transition. Retraçant l'historique de l'Instance, il s'est attardé sur certains détails importants dont notamment ce passage entre la commission de la réforme politique formée, au départ, d'une quinzaine d'experts et d'universitaires apolitiques, à «un véritable parlement» comprenant 155 membres. La révolution tunisienne est une révolution spontanée. Elle n'a ni chef charismatique pour l'orienter ni une force pour l'encadrer. D'où, précise-t-il, «l'émergence de personnalités et de forces politiques, sociales et professionnelles qui ont lancé l'idée de création d'un conseil de protection de la révolution. Ce conseil se voulait une sorte de gouvernement parallèle doté d'un pouvoir législatif et d'un pouvoir de contrôle de l'action du gouvernement, avec des droits de nomination des hauts fonctionnaires de l'Etat. Chose jugée inacceptable par le gouvernement provisoire. La solution était alors d'élargir les prérogatives de la commission et sa transformation en une instance supérieure à caractère consultatif». Formée de représentants de partis politiques, d'organisations de la société civile et de personnalités indépendantes, elle a alterné le bon et le moins bon, mais elle a réussi, tout de même, ce que M. Ben Achour appelle «deux miracles qui sont l'élaboration et l'adoption du code électoral et du texte de loi relatif à la création de l'Instance supérieure indépendante des élections». Mais dure était la conduite des travaux de ce «parlement» à cause notamment «de la mentalité combative de certains de ses membres peu enclins à l'esprit de conciliation et au consensus. Chacun se voit le détenteur de la vérité et ne tolère pas l'opinion contraire». Le retard pris dans l'adoption du code électoral s'est répercuté sur le reste de l'agenda lancé au mois de mars. Le report des élections est, alors, devenu inéluctable. Pas de publication des listes des «mounachidines» Maintenant que la machine s'est mise en branle pour préparer les premières élections libres et transparentes de la Tunisie indépendante, il faut réunir toutes les conditions pour favoriser leur organisation dans un climat de confiance et de sérénité. Evoquant les difficultés que va rencontrer l'Instance supérieure indépendante des élections, M. Iyadh Ben Achour rappelle que pas moins de trois millions de Tunisiens ne sont pas inscrits sur les listes électorales, ce qui va nécessiter la création de 2.000 centres d'inscription et la formation de 4.500 agents par 450 formateurs. Tâche énorme surtout que l'on subit la pression du temps. En plus de cela, on prévoit environ 8.000 bureaux de vote, contre 18.000 lors des dernières élections d'octobre 2009, ainsi que le recrutement de 40.000 personnes pour assurer le déroulement du scrutin dans lesdits bureaux. «C'est pourquoi, je préconise d'exploiter le savoir-faire du ministère de l'Intérieur, de faire appel aux agents expérimentés dans le domaine et d'utiliser les bases de données existantes», avance le président de l'Instance. Sur un autre plan et face à l'inquiétude de certains intervenants quant à la fameuse liste de ceux qui ont appelé l'ancien président à se représenter en 2014, les «mounachidines», M.Ben Achour a tenu à rassurer l'auditoire et par-delà même l'opinion publique en insistant sur «le sens de responsabilité des personnes chargées de préparer cette liste qui ne sera pas publiée et je veillerai à ce que cela ne soit pas fait. L'Instance des élections va examiner au cas par cas tout en s'assurant des preuves tangibles de la participation volontaire des personnes dans la joute des mounachadates. Personnellement, je suis contre la chasse aux sorcières et j'ai toujours prôné la réconciliation. Nous sommes dans une période transitoire très délicate et le risque de dérapages n'est pas exclu. La pression est très forte et nous devons nous unir pour sortir de l'ornière». Parmi les questions soulevées par les participants, celle de la durée et les prérogatives de la prochaine Constituante. Le président de l'Instance a précisé que le décret portant convocation des électeurs en a limité la durée à une année avec comme mission d'élaborer une Constitution pour le pays. Toutefois, une fois élue, la Constituante sera souveraine et pourrait dans ce cas outrepasser les dispositions du décret pour s'accaparer les pleins pouvoirs. On a tous en mémoire la première Constituante de 1956 convoquée par décret beylical au mois de décembre 1955 pour préparer une Constitution pour la monarchie. La suite, on la connaît avec la formation, une semaine après l'élection de la Constituante, d'un nouveau gouvernement présidé par Habib Bourguiba, l'abolition de la monarchie et la proclamation de la République le 25 juillet 1957 et l'adoption de la promulgation de la Constitution le 1er juin 1959 suivie de l'organisation en novembre 1959 des premières élections législatives et présidentielles. D'où la crainte exprimée par certains de voir les élus user de leur légitimité pour allonger la durée de vie de la prochaine Constituante et préparer une Constitution qui pourrait ne pas refléter l'esprit de la révolution et ses objectifs. D'autant plus que le décret du 24 mai ne précise pas que la Constituante est appelée à élaborer une Constitution pour la République tunisienne, se contentant de spécifier l'élaboration d'une Constitution pour le pays. Crainte légitime que M.Ben Achour atténue par l'irréversibilité du processus démocratique engagé en Tunisie, «la dictature ne reviendra plus jamais tant qu'il y aura une société civile active et responsable». Et si à la place des élections d'une Assemblée nationale constituante, on allait vers un référendum populaire sur une nouvelle Constitution ? Initiative lancée par une vingtaine de partis politiques et qui semble faire son chemin. Le président de l'Instance reste réservé face à cette idée qui, d'après lui, «risque de provoquer beaucoup plus de problèmes qu'elle n'en résoudra». Profondément convaincu de l'irréversibilité de la transition vers la démocratie, il estime que «l'homme est né pour être démocrate». Soit.