Conformément à des pratiques bien établies, le ministère du Tourisme engage, cette année, un budget de communication et de publicité institutionnelle de l'ordre de 60 à 70 millions de dinars sur différents marchés émetteurs. Un montant, certes, en augmentation par rapport aux années précédentes, mais qui demeure en deçà des engagements de destinations concurrentes. Avant d'évoquer l'impact que ces campagnes pourraient réaliser, rendons-nous à certaines évidences : - Les milliards dépensés en publicité depuis le démarrage du tourisme tunisien n'ont pas réussi à asseoir une image institutionnelle suffisamment motivante et crédible pour que la Tunisie soit choisie pour ses qualités intrinsèques et non pour ses avantages compétitifs pour ne pas dire ses bas prix. - L'image actuelle du tourisme tunisien, quand elle existe, fait référence à une monotypie balnéaire largement développée par la communication commerciale des tours opérators. Cette image commerciale aurait donc existé même en l'absence de campagnes institutionnelles engagées par la destination. La forte saisonnalité qui marque encore la fréquentation touristique actuelle et le niveau très moyen de la clientèle sont la preuve que la communication institutionnelle n'a pas réussi à «débalnéariser» et à débanaliser l'image de la destination. - Toutes les études engagées expliquent l'essoufflement de la destination beaucoup plus par la banalisation de l'offre et sa faiblesse en termes de qualité de prestations et de diversification de produits que par les déficits d'image. Alors que faire ? S'acharner à communiquer pour un produit essoufflé et en fin de cycle, ou ne rien espérer et attendre qu'il se régénère pour en parler et le proposer à sa juste valeur ? Certains recommanderaient d'agir sur les deux fronts. Ils n'auraient pas tout à fait tort, s'il y avait suffisamment de moyens pour le faire. Ce qui n'a jamais été, et ne semble pas encore être le cas. Compte tenu de ces constats et de la conjoncture incertaine qui prévaut, une ou deux années sans communication publicitaire institutionnelle n'auraient pas d'effets négatifs sur les performances à court terme. La réalité et les statistiques des dernières années et des derniers mois nous l'ont suffisamment démontré et continuent à le faire. Alors, comme l'engagement de campagnes publicitaires institutionnelles ne semble pas permettre de réaliser des miracles, surtout après les derniers évènements qui ont secoué l'apparente quiétude tunisienne, ne vaut-il pas mieux réorienter les 60 ou 70 milliards prévus pour une communication hasardeuse vers la création de nouveaux projets touristiques, culturels et écologiques à l'intérieur de régions riches de ressources naturelles et patrimoniales qui ne demandent qu'à être mises en valeur, et foisonnantes de jeunes diplômés qui ne demandent qu'à être utiles. Comment procéder ? Commençons par un simple constat. Cela fait des décennies qu'on parle de diversifier le produit et d'exploiter les multiples ressources naturelles et culturelles des régions non balnéaires. Si aujourd'hui, on en est au même point, c'est à cause notamment : - du manque de volonté politique réelle durant la période écoulée - de l'absence de coordination transversale entre les ministères et les organismes officiels qui s'y rattachent, - du désintérêt des promoteurs classiques du balnéaire qui ne croient que dans l'hôtellerie capitalistique, - de l'absence de visions d'aménagement valorisant les sites naturels et archéologiques, - de la faiblesse en termes d'incitations réelles à l'investissement dans les produits alternatifs, - du manque de visibilité quant à la rentabilité de tels projets, souvent excentrés par rapport aux villes et aux zones touristiques du littoral. Examinons de près chacun de ces freins. - La volonté politique semble enfin s'amorcer, suite aux exigences et pressions nées d'un contexte révolutionnaire inespéré - La coordination transversale semble être enclenchée, puisque le ministre du Tourisme actuel affirme avoir réussi à convaincre ses collègues de la Culture, de l'Agriculture et de l'Environnement pour qu'ils lèvent certaines de leurs objections qui ont pu constituer des obstacles au développement des nouvelles filières de produits. - Les études commandées et livrées depuis trois ans sur les perspectives de développement touristique des régions de l'intérieur peuvent servir de guide pour procéder aux acquisitions foncières, réaliser les plans d'aménagement autour des sites naturels et culturels inventoriés et constituer une banque de microprojets touristiques et paratouristiques (maisons d'hôtes, centres de loisirs, gîtes ruraux, centres équestres, tables d'hôtes, aires de campings, pensions de familles, centres d'interprétations de l'environnement, centres thermaux traditionnels , espaces d'animation artisanale…). Signalons à ce propos que les gouvernorats de l'intérieur ne sont pas les seuls à souffrir d'être mis au ban du développement touristique et que les ‘‘poches de misère touristique'' existent aussi dans tous les gouvernorats côtiers, à quelques encablures des zones touristiques dûment aménagées. C'est pour cela qu'il serait plus judicieux et plus équitable de parler d'espaces touristiquement défavorisés, au lieu de citer seulement quelques gouvernorats de la Tunisie centrale et du nord-ouest. - Le désintérêt des promoteurs classiques du balnéaire ne poserait pas problème, et c'est peut-être tant mieux, car quand on les voit évoluer dans d'autres sphères financières et commerciales, on se dit qu'il serait préférable de confier ces nouveaux projets aux jeunes diplômés natifs des régions de l'intérieur. - La faiblesse d'incitations à l'investissement ne sera plus une condition rédhibitoire pour la réalisation de projets viables si les autorités touristiques et financières décident la création d'un fonds spécial d'investissements dans les régions défavorisées, un fonds qui aurait pour mission de soutenir aussi bien les nouveaux projets que ceux que certains promoteurs audacieux ont eu le mérite de créer, en dépit de l'absence de textes réglementaires , d'incitations particulières et des méandres décourageantes d'une administration formatée pour l'investissement dans le balnéaire. De même, on peut envisager la promotion d'une société de développement chargée de créer le premier réseau de projets culturo-écologico-touristiques, à l'instar de la Shtt qui a eu le mérite d'inaugurer la saga hôtelière tunisienne. Ces projets, moyennant un cycle de formation et d'encadrement de démarrage, seront confiés en gérance à des diplômés du supérieur locaux qui s'en porteraient acquéreurs au bout d'un certain nombre d'années d'exercices. Cette simple perspective suffirait à motiver ces futurs gestionnaires pour bien gérer et sauvegarder ce qui finira par constituer leur gagne-pain et leur patrimoine. Vu sous cet angle, le financement des projets pilotes peut être réalisé grâce aux 70 milliards du budget publicitaire prévu pour la promotion touristique et dont l'engagement, compte tenu de la conjoncture, ne semble pas apporter les fruits attendus. En somme, au lieu de continuer enrichir les agences de publicité et leurs intermédiaires, commençons par enrichir la palette de nos produits touristiques. Une fois cette étape d'enrichissement de l'offre franchie, toute campagne publicitaire deviendra alors autrement plus efficace, plus motivante et plus crédible. Par ailleurs, si on considère que le coût moyen d'un petit projet touristique alternatif est de l'ordre d'un million de dinars, l'enveloppe servirait à réaliser 70 projets dans toutes les régions touristiquement défavorisées et à constituer un joli réseau de haltes et d'étapes culturelles et écologiques, ainsi qu'un maillage suffisamment dense pour atteindre une masse critique nécessaire capable d'agir efficacement sur l'image et la commercialisation de la destination. Chacun des 70 projets pourrait créer en moyenne un minimum de 10 emplois directs et autant d'indirects, ce qui représentera un minimum de 1.400 emplois directs et indirects dans les régions concernées. Sans compter que ces projets intégrés participeront réellement à la dynamique économique régionale et à illustrer de la meilleure manière les concepts de développement durable et équitable. - Quant à la rentabilité des unités de ce réseau de projets innovants, elle ne peut être garantie avec la pratique actuelle des circuits et excursions organisés par les agences de voyages de la place. Ces dernières continuent à proposer des produits fast-food où le kilométrage, l'inconfort et les visites rapides restent monnaies courantes .En effet, très peu d'agences programment des sites culturels et naturels de l'intérieur, prétextant qu'ils ne sont pas pourvus de capacités d'hébergement et de commodités nécessaires. Cette objection sera évidemment levée, une fois les projets décrits ci-dessus réalisés. D'autre part, s'agissant d'une mesure stratégique destinée à enrichir et à diversifier l'offre touristique nationale par des composantes valorisantes et à crédibiliser les promesses publicitaires, on doit pouvoir motiver, et le cas échéant obliger les agences récalcitrantes à organiser un quota suffisant d'excursions et de circuits vers ces nouvelles unités et ces régions touristiquement défavorisées. Parallèlement, on devra promouvoir la création d'une nouvelle génération d'agences de tourisme spécialisées dans le haut de gamme et les produits à la carte, des structures plus imaginatives et plus réactives à la portée des diplômés du tourisme et des guides les plus motivés. La même logique qui admet le lancement de microprojets d'hébergement parahôtelier devrait s'appliquer aussi aux microprojets d'opérations touristiques. Entre les agences de licence A (réceptifs et circuits touristiques) et les agences de licence B (billetterie), on peut imaginer une troisième catégorie pour qui le client n'est pas qu'un bagage à transférer, un simple siège de bus ou un titre de transport à émettre ou à réserver. En outre, une campagne de communication ciblant le tourisme national devra être prévue, tant il est évident que ces produits alternatifs dépendent en grande partie du développement de la demande intérieure, à l'instar des destinations matures, où elle représente plus de 50% du marché. Au-delà du bénéfice commercial qu'ils finiraient par glaner, les opérateurs touristiques classiques devront considérer tout effort qui leur sera demandé comme un devoir de contribution citoyenne à l'effort national de développement régional et de création d'emplois. Certaines voix aiguisées par une forme d'hystérie ‘'révolutionnaire'' appellent à une rupture radicale avec les pratiques touristiques du passé (al quat3 ma3a almadhi !) et dénoncent le tourisme balnéaire comme s'il s'agissait d'une hérésie économique et sociale. Elles voudraient qu'on passe du tout balnéaire au tout alternatif. Erreur ! grave erreur ! Le développement touristique des régions défavorisées ne doit nullement être conçu comme une substitution au tourisme balnéaire qui constitue et constituera encore l'épine dorsale de l'offre touristique tunisienne. Il faut se garder de jeter le bébé avec l'eau du bain car ce tourisme balnéaire, aujourd'hui essoufflé et en fin de cycle, a eu le mérite d'inscrire la Tunisie sur la carte touristique mondiale et méditerranéenne, et permis d'atteindre les performances économiques et sociales connues de tous et que l'objet de cet article ne permet pas de rappeler. Les produits alternatifs, grâce à une dialectique vérifiée, débalnéariseront l'image touristique globale et banalisée de la destination, ce qui, à terme, finira par profiter aux zones balnéaires. A condition que les promoteurs de ces dernières engagent un véritable processus de restructuration pour ne pas dire de révolution.