Depuis le 8 juin, l'exposition annuelle de l'Union des plasticiens se tient au palais Kheïreddine; 150 peintres-sculpteurs, installationistes, tapissiers, photographes, graveurs et céramistes y participent, chacun par une œuvre. L'exposition a suscité des protestations dans le milieu artistique, même de la part des adhérents de l'Union. On reproche aux organisateurs d'avoir «recruté» illégalement des amateurs, des peintres du dimanche, et des jeunes de l'Institut des beaux-arts de Tunis pour combler le vide créé par l'absence de plusieurs plasticiens qui ont pris leurs distances avec l'Union à cause du déroulement contesté des dernières élections (assemblé générale d'octobre 2010) qui a vu le secrétaire général renouveler sa candidature pour un 3e mandat, et réussir à être élu, grâce aux voix de nouveaux adhérents recrutés pour l'occasion et qui n'ont pas le droit de voter. Ce qui a suscité la grogne aussi, c'est le niveau très modeste de plus des deux tiers des exposants. Le thème de l'exposition, qui est facultatif, est de s'inspirer de la révolution; ce thème a été perçu naïvement par la majorité des participants. On a essayé de limiter les dégâts par l'accrochage, mais le nombre des amateurs était excessif et ils voulaient exprimer par la peinture ce qu'ils ressentaient après l'avènement de la révolution. Pour préserver le prestige de l'Union et l'image de cette exposition qui était le miroir de l'art contemporain en Tunisie, on aurait pu créer un salon pour ces amateurs. Passons aux œuvres exposées. Le diptyque de Dalizar Chtourou retient l'attention par la rigoureuse construction, un équilibre de masses noires et blanches enrichi par un graphisme qui circule harmonieusement. Dalizar, qui nous surprend souvent par ses trouvailles esthétiques, a intérêt à puiser dans ce genre d'expression et ne pas changer du jour au lendemain vers une autre conception. Quant à l'œuvre de Wissem Gharsallah‑: «Man autom?» (qui êtes-vous), une expression du sanguinaire Kadhafi, est inspirée de la vie politique en Tunisie. Une sturcture modulaire constituée de photos, de portraits d'hommes politiques qui animent la vie politique depuis la révolution, les Marzouki, Ghannouchi, Rajhi, etc. les portraits sont difficilement reconnaissables. Wissem a mis à la disposition du spectateur une loupe pour voir de près ces portraits, ce qui enveloppe l'idée essentielle «Man antom?» Les Tunisiens ne connaissent pas ces politiciens qui viennent de Paris, Londres, Montréal, ou libérés des géôles du ministère de l'Intérieur… Mais on va mieux les connaître d'ici quelques mois. Dans cette œuvre, l'idée est véhiculée par une approche esthétique qui a élevé l'œuvre au niveau de la création. Gharsallah est aussi un bon peintre qui ne se manifeste pas beaucoup. Feu Ali Trabelsi est présent par une œuvre murale qui prouve qu'il a été l'un des meilleurs artistes et qu'il a su et pu offrir à la calligraphie ses titres de noblesse, en l'introduisant dans le monde de la tapisserie. On sent toujours la Médina de Tunis, Sfax ou Kairouan, en regardant les tableaux de grands formats de Méjid Ben Messaoud qui intègre des éléments du patrimoine local dans une architecture qu'il soumet aux exigences de la composition. Quant à Rjeb Zeramdini, dans son diptyque, il a peint un ensemble de personnages qui expriment les malheurs de l'être humain. Abdelaziz Zaïer a assemblé du fil de fer pour construire deux personnages, l'un, un tireur d'élite (qannas) tirant sur un manifestant. Ali Zenaïdi, qui a eu le prix de la Ville de Tunis la session précédente, a présenté une toile post-impressionniste riche en couleurs où l'on perçoit une zone lumineuse au milieu; le déploiement d'une fausse perspective donne de la profondeur et du mystère à cette œuvre. Mohamed Zouari, celui de Kélibia — il y en a deux‑— a créé sa propre manière de s'exprimer par des hauts reliefs peints. Ici, c'est un typtique animé par des portraits déformés peints dans une gamme de brun et disposés de manière à créer un rythme irrégulier, et des expressions différentes. Khlifa Bradaï, un peintre qui se cherche, qui confectionnait des œuvres avec une matière abondante, nous présente, dans cette exposition, une œuvre avec juste ce qu'il faut comme collage. Cependant, Mohamed Regaïeg a un parcours réciproque : il peignait seulement en déployant des touches, et voilà qu'il entre dans l'aventure du collage pour peindre des sortes de paysages abstraits. On passe à l'une des œuvres maîtresses, la plus sincère et la plus attrayante intitulée : «Révolution», signée Mohamed Nizar Meddeb, un jeune graphiste, qui a pu exprimer le thème de la révolution par une richesse abondante de signes, de portraits : Bob Marley, Ben Laden, le drapeau tunisien très bien intégré, ici, des mains autour de la masse principale exprimant la liberté, des oiseaux, des insectes, des chaînes, des engins mécaniques, le tout formant une unité qui dégage une expression sincère. Ce grand travail est une image de la nouvelle peinture tunisienne, un jeune plasticien à suivre. Ce qu'on reproche à la majorité des exposants, c'est la facilité, et la prise à la légère du sujet, en axant sur le drapeau, ce drapeau qu'on a commencé à aimer sincèrement depuis le soulèvement du 17 décembre 2010, doit être peint sincèrement et non pas comme on peint un mur ou une porte. Plusieurs autres plasticiens ont fait du bon travail, comme nos amis irakiens et algériens qui participent à cette exposition : Abdeljabbar Naïmi, Ali Ridha, Mohamed Al Adhami et Al Kassab ; il y a aussi Moncef Naouar, Najoua Abdelmaksoud, Mohamed Melki, Khaled Abida, les photographes : Lotfi Ghariani et Wadii M'hiri et bien d'autres. Espérons que l'organisation de l'exposition du 2e groupe dans deux semaines sera meilleure et plus homogène.