Par Nabil AZOUZ (Enseignant) Et pourquoi pas une large majorité d'indépendants pour les prochaines élections de la Constituante du 23 octobre 2011 ? Ne serait-il pas une merveilleuse reconnaissance à tout un peuple qui, sans chefferie aucune ou parti politique quelconque, s'est levé au nom de sa dignité et de sa liberté, comme un seul homme pour abattre l'un des pires régimes autoritaires du monde arabe. Cela laissera également le temps à la majorité des différents partis politiques d'affûter leurs programmes, de sortir du guet, d'être mieux connus par les Tunisiens et d'être enfin prêts pour les prochaines législatives et présidentielles. Des indépendants qui regorgent d'énormes qualités et de visions sérieuses pour notre pays sont connus de tout le monde. Je me permets même, quitte à fâcher plusieurs de mes amis, mais tant pis pour moi car j'ai fort besoin de le dire, d'en citer sans peur en vrac quelques-un(e)s et comme ils me viennent à l'esprit : le grand doyen Sadok Belaïd, le juriste organique et notre boussole en ces temps troubles, la révoltée du sérail Lina Ben Mhenni, le bouillonnant Hamadi Redissi, la percutante Khédija Chérif, la belle plume sans concession Soufiane Ben Farhat, l'intrépide Olfa Youssef, l'artiste citoyen Lotfi Dziri, la désormais libre Naziha Rjiba alias Om Zied, la grande «gueule» Abdelaziz Mzoughi et son alter ego le in-out Abdelfattah Mourou, mais à la seule condition qu'il se décide enfin à gagner sa liberté et à démissionner définitivement du parti Ennahdha où a priori il gêne et où il n'a rien à faire, l'intraitable Noura Borsali, le grand militant associatif Mohieddine Cherbib, l'efficace Hafidha Chekir, l'empêcheur de tourner en rond Fethi Belhaj Yahia, la visionnaire Hédia Baraket, l'infatigable baroudeur Mohamed Larbi Bouguerra, la pasionaria Raja Ben Slama, le modéré modérateur Slah Jourchi, notre Fouquier-Tinville ce volcan couvert de neige Sihem Ben Sedrine, Jawhar Ben Mbarek la rigueur impitoyable, Souhair Belhassen, notre bâton de pèlerin, Youssef Essedik, le philosophe de la praxis, Abdennasser Laouini, l'avocat poète des grands boulevards, Taoufik Ben Brik, le Pancho Villa des damnés de la terre, Kamel Jendoubi, l'incorruptible, la droiture incarnée…mais d'autres encore et Dieu reconnaîtra les siens. De chaque région seront également nommés deux «représentants des martyrs» qui au risque de leur vie, ont pris activement part à la Révolution. Il n'est pas question de laisser de côté ces soldats de l'ombre, cette majorité silencieuse de la Koubba et de la Kasbah et de toutes les régions reculées de Bizerte à Ben Guerdane poussée au mutisme imposé par le jeu politicien des partis politiques. Sans vergogne, ces derniers se sont donné le beau rôle après le 14 janvier. Un marché de dupes. Circulez, y a rien à voir ! Au perchoir de cette Constituante et au nom de «la Patrie reconnaissante», le nonagénaire toujours jeune percutant Mohamed Talbi. Tout un symbole. La seule concession qui sera faite aux partis politiques, c'est de leur tolérer de désigner eux aussi à cette Assemblée un seul et unique représentant par parti, pas plus et c'est à prendre ou à laisser. Pour couronner le tout et surtout pour enquiquiner tous ceux qui ne sont pas patients, ceux qui ne prennent jamais le temps d'écouter, sera nommé comme porte-parole de cette belle et rêvée Assemblée constituante la flèche-turbo Sofiène Ben Hamida. La majorité de ces personnalités nationales ne nous connaissent pas, mais notre pays, lui, les connaît tous et leur est reconnaissant. Trêve de plaisanterie ouïs-je dire certains. Soit. En tous les cas, loin de nous l'idée de considérer les partis politiques comme quantité négligeable. Ils ont certes un grand rôle à jouer pour achever l'entrée définitive de notre petit pays mais grande nation dans l'ère démocratique et moderne. Mais pour cela, ils sont appelés à changer. De laisser aux oubliettes leur fausse idée que les Tunisiens ne comprennent rien à la politique, considérée par ces professionnels comme une façon d'empêcher les peuples de s'occuper de ce qui les regarde. Bien au contraire. Les Tunisiens sont férus de politique, mais à petite dose. Ils ont une vie humble à mener. Ils en sont même saturés après plus de vingt trois ans de matraquage et de propagande. Ce qu'ils attendent réellement de ces partis, c'est qu'ils changent de méthode. De langage hautain, condescendant et codé que ne comprennent que les soi-disant initiés à la chose politique. Que ces partis les écoutent réellement, qu'ils aillent humblement vers eux et qu'ils soient leurs fidèles porte-paroles. Pas plus. Soyez modestes ou sinon vous risquez de disparaître. Sachez-le d'ailleurs, vous êtes déjà en voie d'extinction. Les réseaux sociaux, simples et directs et les citoyens organisés d'une manière autonome vous ont dépassés par leur incroyable rapidité à passer à l'action. Ils n'ont pas votre peur tant calculée et votre vieille et ringarde lourdeur d'exécution et ils n'ont que faire de vos discussions byzantines qui n'en finissent jamais. Ils veulent tout. Ici et maintenant. La Révolution du 14 janvier 2011 n'a pas uniquement bouleversé la donne de notre seul «grand-petit» pays, mais également au niveau mondial. Elle est annonciatrice d'un «faire du politique» autrement. Le temps des leaders charismatiques est fini. L'ère des guides et des avant-gardes infaillibles est révolue. Est venu le moment de l'expression citoyenne. Simple, partagée, solidaire et émanant directement de la volonté populaire. Certes, cette parole met hélas toujours du temps à se mettre en mouvement, à se faire entendre et à s'organiser, mais dès que le moment arrive, elle ébranle tout sur son passage. Les peuples sont sans doute patients, mais jamais dupes. Surtout le nôtre. Il l'a magistralement démontré. Qu'il est loin le temps des Lénine, Marat, Robespierre, Nasser, De Gaulle, Churchill, Castro et même du «Zaïm Bourguiba» ! Tous, à condition qu'on les laisse faire, ont promis à leurs peuples d'atteindre des rivages heureux et des lendemains qui chantent, en vain ! Leur parfois sincère envie de faire notre bonheur à notre place se mue rapidement en dictature, en autoritarisme, en arrogance, voire en népotisme, en kleptomanie et en ploutocratie. Tous ont ou bien étatisé à outrance la société ou privatisé sans vergogne l'Etat. Les peuples n'aiment plus les chefs qui les ont souvent trahis. Ils veulent être maîtres de leur destin et remettre à leur place les politiques qui ont vite fait d'oublier qu'ils tirent leur légitimité et leur pouvoir de la seule volonté populaire. Notre révolution n'a été décidée par personne en particulier, mais bien par un peuple tout entier, uni et décidé à en finir avec l'hydre zabatiste. Elle a sans doute ouvert la voie. Soyons en fiers et regardons comment se déroulent les soulèvements en Libye, en Syrie, au Yémen et ailleurs. Soit dit en passant, ils ont tous un œil rivé sur notre pays. Ils sont sans chefs et sans «stars révolutionnaires» à l'image du mouvement des «Indignés» en Espagne, au Portugal, en Grèce et un peu en France…Des jours difficiles guettent l'Europe, et que dire quand la Chine s'éveillera ? Adieu «leaders Maximo», adieu «Guides spirituels» et temporels, adieu «Génie des Carpates», adieu «Combattants suprêmes» et risibles «Hommes du changement». Le temps de la «dignité» a commencé. Le temps de la «Citoyenneté universelle» made in Tunisia a sonné. «Je, tu, il, elle, on… Yes we did». Ensemble, on l'a fait !