Vendredi matin dans un hôtel de Tunis, trente cinq universitaires, penchés depuis peu sur l'étude de la Tunisie de l'après 14 janvier, se sont réunis pour mettre les journalistes au parfum des avancées de leurs recherches respectives. Cela donne un avant-goût dense de ce que sera le résultat de leurs travaux attendus en septembre prochain : une première étude scientifique collective sur la transition démocratique ; ses acteurs, ses thématiques. Elle sera signée par l'Observatoire national de la transition démocratique et mise en ligne, un mois avant les élections. De quoi éclairer un paysage politique encore sombre pour une majorité de Tunisiens. La rencontre n'aura jamais eu lieu dans la Tunisie de l'avant 14 janvier où journalistes et universitaires se croisaient à peine, où la recherche académique esquivait la thématique tunisienne. Elle s'intitule «Des Tunisiens sur la transition démocratique», autour de ce qui ressemble à des mini-ateliers de travail couronnés par une conférence de presse donnée par le bureau de l'Observatoire national de la transition démocratique. Un savoir sur l'histoire, au présent «Les universitaires et les intellectuels tunisiens parlent beaucoup et écrivent peu. L'Observatoire est né de ce constat de l'indigence de la recherche académique autour des sujets tunisiens. L'essentiel du savoir académique est jusque-là produit par des non-Tunisiens. C'est le moment d'inverser la tendance». L'injonction vient de Hamadi Redissi, penseur et politologue tunisien qui présente ainsi l'Observatoire : trente cinq chercheurs et experts chargés essentiellement de faire le suivi, d'observer et d'analyser la vie politique durant la période transitoire. Le projet est conçu au croisement des deux axes que sont les acteurs et les thématiques de la transition démocratique. Il avance à travers trois pistes à savoir le changement du système politique (liquidation de l'ancien, nouvelles règles du jeu), le cadre social et les valeurs. La recherche part certes d'une appréhension, celle de la grande fragilité de notre démocratie naissante et ses risques de retour à la case dictature et autres dérives. Elle participe néanmoins d'une mission : mettre le savoir en phase avec l'action civile à cette distance respectueuse entre l'académisme et le militantisme. Hamadi Redissi précise : «Le projet ne prétend pas aboutir à une théorie de la révolution et encore moins à une prise de position sur les évènements. Il s'engage juste sur une première étude collective, en somme, que les Tunisiens produisent un savoir sur leur propre histoire, au présent. Ce savoir devra être mis en ligne au mois de septembre prochain». Dans l'attente de septembre En attendant, le collectif en charge du projet avance sur ses terrains respectifs. Réunis, hier matin autour de tables et d'intitulés qui renseignent sur ses centres d'intérêts, il reste fidèle à ses positions. Au nombre de sept, les groupes de travail dits aussi familles se répartissent par question et objet de recherche. Il y a les formations politiques, la question de la femme, les nouveaux acteurs, les institutions, les catégories socioprofessionnelles, l'économie de la transition, les médias et la culture. A ce stade, le paysage tunisien ainsi configuré tente de ne rien laisser échapper à la préhension de la recherche. Chaque question ouvre sur bien d'autres et les exposés successifs donnent un avant goût de la densité de la matière : les partis anciens et nouveaux, leurs positionnements et leurs stratégies, les organisations syndicales, leurs ressemblances et leurs spécificités, les organisations féminines, le gouvernement de transition, les institutions et les hautes instances, les médias et l'image de la nouvelle Tunisie, les acteurs culturels, les acteurs économiques et leur aptitude à s'imposer sur les orientations en matière de développement… Et puis toute l'originalité de ces nouveaux acteurs qui tels la blogosphère, Facebook et les comités de protection de la révolution font la spécificité de la révolution tunisienne. Un mouvement alternatif — en concurrence avec les acteurs classiques — est-il déjà en marche ? C'est ce que nous révèlera entre autres cette première académique. (Nous y reviendrons)