En réponse à la réflexion de M. N. Ben Halima (La Presse du 8/7/2011, page 8) mettant en doute la provenance du mot français «aliboron», telle que je l'avais indiquée, veuillez trouver ci-dessous quelques précisions. Muhammad Al-Biruni (973-1048), mathématicien, géologue, botaniste, astronome, historien, linguiste, a laissé une œuvre considérable. Al-Biruni était un pionnier. Il a créé la première mappemonde construite en Asie centrale. Il a suggéré que la Terre tourne autour du Soleil. Avec l'aide d'un astrolabe, de la mer et d'une montagne avoisinante, il a évalué la circonférence de la Terre. Il a calculé avec précision les densités et les poids spécifiques de minéraux, travaillé sur la "règle de trois", développé des équations inconnues, contribué à développer la trigonométrie. Il a imaginé un canal reliant la mer Rouge et la Méditerranée (actuel canal de Suez), a proposé de dessaler l'eau de mer pour approvisionner les contrées désertiques en eau douce. Lorsque les écrits d'Al-Biruni parviennent en Europe, son nom fut francisé en Aliboron (on francisait et latinisait autrefois les noms provenant «des langues barbares imprononçables»). Exemples : Ibn Sina = Avicenne, Ibn Rushd = Averroès, Muhammad = Mahomet, Al-Quran = Alcoran, Kung-fu Tseu = Confucius, et Al-Biruni = Aliboron). Pour les Européens d'alors, ses œuvres apparaissent comme ardues, voire ésotériques. Au lieu de reconnaître leur incompétence, ces savants européens se sont moqués du contenu de ses livres. Par dérision, Al-Biruni, alias Aliboron, fut affublé du sobriquet de Maître Aliboron. N'oublions pas qu'à la même époque, le pape Sylvestre II, savant et homme politique, dit le pape de l'an Mil, a essayé sans succès d'introduire les chiffres arabes chez les chrétiens. Il en fut même accusé de sorcellerie. Au 14e siècle, Jean Buridan (1300-1358), maître scolastique et philosophe aristotélicien, nomma Aliboron son célèbre âne affamé et assoiffé qui, placé à égale distance d'un seau d'eau et d'une botte de foin, mourut de faim et de soif, faute d'avoir su choisir dans quelle direction aller en premier. Par la suite, d'autres ânes furent nommés Aliboron, et "Maître Aliboron" devint une périphrase pour désigner l'âne par excellence, comme on le lit chez La Fontaine. Donc, Jean de La Fontaine n'est pas l'inventeur de ce mot, puisque ce mot date du haut Moyen Âge, plusieurs siècles avant lui. Du reste, je suis convaincu que La Fontaine n'aurait pas utilisé ce mot s'il savait l'ânerie qui en a été l'origine. Autrement dit, les ânes ne sont pas toujours ceux que l'on pense ! Profitant de cette opportunité, je suggère aux chefs des partis politiques tunisiens, uniquement intéressés par les strapontins du pouvoir, de lire et de méditer cette fable : Les voleurs et l'âne Pour un âne enlevé deux voleurs se battaient : L'un voulait le garder; l'autre le voulait vendre. Tandis que coups de poing trottaient, Et que nos champions songeaient à se défendre, Arrive un troisième larron Qui saisit maître Aliboron. L'âne, c'est quelquefois une pauvre province : Les voleurs sont tel ou tel prince, Comme le Transylvain, le Turc et le Hongrois. Au lieu de deux, j'en ai rencontré trois : Il est assez de cette marchandise. De nul d'eux n'est souvent la province conquise : Un quart voleur survient, qui les accorde net En se saisissant du baudet.