Par Soufiane Ben Farhat Les chiffres ne traduisent pas forcément l'évidence. Mardi dernier, le Parlement français a voté, par 482 voix pour et 27 voix contre, la poursuite de la guerre en Libye. En fait, pas moins de 4.400 soldats français sont engagés en Tripolitaine, sans déploiement direct au sol. Mais l'opération n'en engage pas moins, côté français, 40 avions de combat (Rafale, Mirage, divers types de ravitailleurs), un porte-avions, trois frégates, un pétrolier-ravitailleur et un sous-marin nucléaire. Huit navires mobilisent 18 hélicoptères d'attaque. La France se retrouve ainsi le premier pays contributeur de l'opération, à côté de la Grande-Bretagne. Mais l'arbre des données statistiques ne saurait cacher l'épreuve des faits. Visiblement, la France est embarrassée. Elle commence à rechercher une issue honorable à ce conflit militaire engagé depuis déjà cinq mois. C'est que les objectifs initiaux de l'opération militaire ne se réalisent toujours pas. Souvenons-nous. Au début, les dirigeants français avaient envisagé d'éliminer physiquement le colonel Kadhafi, retirer toute légitimité au gouvernement libyen et reconnaître le Conseil national de transition (CNT) comme seul gouvernement légitime du pays. Mais la résistance des forces pro-Kadhafi a jusqu'ici entravé la matérialisation des buts de l'expédition militaire. Les présidents, français Nicolas Sarkozy, américain Barack Obama, ainsi que le Premier ministre anglais David Cameron, en ont été pris de court. A preuve, depuis quelques jours, le Quai d'Orsay reconnaît que la France cherche désormais à reprendre contact avec Mouammar Kadhafi. Le ministre français de la Défense, Gérard Longuet, a été on ne peut plus clair à ce propos : "Il va falloir maintenant se mettre autour d'une table", a-t-il reconnu sur BFM-TV. Longuet ne considère même plus l'exil du dirigeant libyen comme indispensable à la cessation de l'intervention militaire en cours : "Il sera dans une autre pièce de son palais avec un autre titre", s'est-il permis de surenchérir. De son côté, l'OTAN a révélé mardi son intention de suspendre ses bombardements en Libye durant le mois de Ramadan. C'est-à-dire à partir du 1er août, un mois durant. Ce début de revirement s'explique par plusieurs considérations. Il y a trois jours, Bernard Cazeneuve, secrétaire de la commission Défense à l'Assemblée nationale française, a exprimé des réserves appuyées sur le coût du conflit en Libye. A l'en croire, les 630 millions d'euros prévus pour les opérations extérieures en 2011 ne suffiraient pas. Le coût de la guerre libyenne pour la seule France s'élèvera, selon lui, à un milliard d'euros. Un coût catastrophique avec la crise persistante en France et les mesures d'austérité que certains économistes y préconisent à court terme. Pis, le temps travaille en faveur des Libyens loyalistes. Au début, les Français avaient misé sur une opération-éclair de deux à trois semaines pour renverser le régime libyen. Puis l'Otan se fixa un délai par excès de trois mois. On pensait que le régime libyen serait mis hors d'état de nuire fin juin. Puis on réclama trois mois supplémentaires, la guerre devant finir en septembre. Aujourd'hui, on parle de pourparlers avec le régime libyen et de suspension des frappes aériennes. Il y a lieu de croire que l'establishment français redoute déjà comme la peste que la Libye devienne le bourbier et le fossoyeur du régime de Sarkozy. Dès la rentrée, en effet, l'élection présidentielle française de 2012 connaîtra ses premières passes d'armes sérieuses. Sarkozy et ses partisans de droite craignent que la Libye ne leur devienne ce que l'Irak et l'Afghanistan furent pour l'Américain George W. Bush et le Britannique Tony Blair, un marécage politico-militaire inextricable et politiquement coûteux, sinon désastreux. Entamer des guerres, soit. Encore faut-il savoir en sortir. Parce que, à trop jouer les apprentis-artificiers, il y a risque de se saborder soi-même. Certaines guerres ont un prix acceptable, mais des coûts tuants.