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Ibn Rochd l'Andalou, précurseur des Lumières
Opinions
Publié dans La Presse de Tunisie le 16 - 07 - 2011


Par Emna ben Miled*
Ibn Rochd est un trésor andalou et universel. Les Tunisiens le connaissent de nom mais sans connaître son œuvre. C'est un fondateur de la rationalité. C'est aussi un fondateur des droits de l'homme et de la femme. Certains extraits de son œuvre méritent d'être distribués à la sortie de tous les lycées afin que notre jeunesse se frotte aux lumières de la pensée andalouse et musulmane.
Ibn Rochd est né au 12e siècle à Kortûbah : Cordoue en français et Cordoba en espagnol. Issu d'une famille de juristes, il devient Cadhi puis Cadhi-El-Kûdhat. En même temps, il est philosophe, médecin et mathématicien. C'est un Alim à l'ancienne. Il cumule les savoirs mais au sens noble du terme. Il est curieux de toutes les sciences à une époque où, avant la chute de la civilisation musulmane, les sciences de pointe s'écrivaient en langue arabe.
Dans son célèbre Fassl Al-Maqual, un petit livre de 60 pages mais révolutionnaire dans son contenu, Ibn Rochd sépare la raison de la religion. Avant lui, c'était confondu. Il se coupe des fûqahas qui l'ont précédé, et il repart du souffle coranique uniquement. Dans le Coran, les termes de raison, d'intelligence, de sagesse sont cités de très nombreuses fois. En conséquence, Ibn Rochd pose comme obligatoire d'employer son raisonnement logique et la force de son ijtihad dans l'interprétation des textes religieux. Il rédige une fatwa pour obliger les musulmans de son époque à employer leur raison logique dans la compréhension de la religion. Une telle fatwa est en avance sur la nature des fetwas rédigées par les musulmans du 21e siècle qui ne servent pas le progrès des droits humains, au contraire ! On dirait que le temps des musulmans coule à l'envers.
Dans une autre partie de son œuvre, un commentaire de La République de Platon, Ibn Rochd défend les droits des hommes et des femmes. Il insiste pour elles toutes sur le principe du travail à l'extérieur du foyer. Il écrit : «Les femmes doivent travailler pour la société et l'Etat comme les hommes et on doit leur permettre de contribuer à créer les richesses matérielles et intellectuelles». Il se pose la question : pourquoi les femmes ne travaillent-elles pas et pourquoi n'occupent-elles pas des fonctions sociales nobles comme les hommes? Il répond: c'est parce qu'elles passent leur temps à obéir au mari et à élever les enfants. La femme, dit-il est l'égale naturelle de l'homme. Ce n'est pas sa nature qui pose problème, c'est l'éducation qu'on lui donne qui est mauvaise. Il écrit, en 1180, que pour libérer les talents des femmes, il faut un programme éducatif nouveau et ce programme inclut, entre autres choses, la gymnastique.
A ses yeux, une femme est en droit de devenir philosophe ou chef d'Etat. Car, ce qui distingue l'homme de la femme, ce n'est pas la nature, c'est le talent. Les maharèt. Le talent est indépendant du sexe. Notre penseur a passé une partie de sa vie à commenter Aristote, il est connu pour cela. Mais il lui tourne le dos sur ce sujet précis. Aristote pense que la femme est un être humain incomplet et naturellement inférieur et que son rôle est d'obéir à l'homme. Il reste bien loin d'Ibn Rochd. L'élève a dépassé le maître.
De même, Ibn Rochd est en coupure avec les idées de l'Imâm El Ghazali sur la femme. Abû Hamed El Ghazali applique une discrimination très grave entre les sexes. Il affirme qu'il faut empêcher la femme de sortir de la maison pour qu'elle ne crée pas le désordre social : la fitna. Et même à l'intérieur de son foyer, il ne faut pas lui permettre d'accéder à la terrasse (les maisons arabes ouvrent sur des terrasses). Elle risque, je le cite dans le texte: «de jeter des regards de là-haut» (in : Ihya Ulûm ed-Dîne).
Ibn Rochd se situe dans le fil de la pensée d'El Farabi et d'Ibn ‘Arabi. Selon El Farabi, l'égalité entre les sexes est une chose naturelle (in : Ara el Madina el Fâdhila).
De même, Ibn Rochd est proche d'Ibn ‘Arabi même si l'un s'est occupé de raison et l'autre d'amour mystique. Les deux hommes appartiennent au même siècle, sont tous les deux andalous et se sont connus directement. Ibn ‘Arabi est venu en Tunisie deux fois. Ibn Rochd est-il venu en Tunisie ? Personne ne le dit mais il faut garder à l'esprit que c'est une époque où le Maghreb et l'Andalousie étaient très liés et les voyages incessants. Pour Ibn ‘Arabi, la femme est un être complet. L'idée de la soumission féminine est étrangère à sa théorie. A ses yeux, l'homme comme la femme sont tour à tour passif et actif, créateur et créatrice. Ce qui est très moderne comme conception et rejoint les théories de la psychologie contemporaine. Ibn ‘Arabi a reçu des enseignements de la part de professeurs hommes et femmes. Il cite dans son œuvre les cheikhas avec respect (in : el Fûtûhat el-Makkiya). Par ailleurs, Ibn Rochd et Ibn ‘Arabi sont en avance sur la pensée de Freud, le fondateur de la psychanalyse. Pour Freud, la femme ne doit pas travailler à l'extérieur du foyer et elle est passive et masochiste de par sa nature.
Les œuvres de nos deux andalous sont interdites d'accès en Arabie Saoudite encore maintenant. Pas de visa pour les lumières. Pourquoi? Pour le comprendre, il faut remonter le temps arabo-musulman de huit siècles.
Un siècle après Ibn Rochd, au 13e siècle, Ibn Taymiyya, un théologien très conservateur, s'élève avec énergie contre la pensée d'Ibn Rochd. Il est dans la lignée d'Ibn Hanbal. Contre Ibn Rochd, la stratégie du takfir à la place du tafkir est dangereusement mise en place. L'ijtihad qui repose sur un dit du Prophète est abandonné. L'exercice naturel de la raison logique devient bid'a, harâm et cela mérite que le sang coule had e-rada. Il est humain d'avoir peur de la mort. Cela bloque les neurones du cerveau. L'autonomie de la pensée qui permet de participer à résoudre les problèmes, ceux de son siècle, est paralysée. Désormais, on récite les anciens. Ibn Taymiyya ne savait pas à quel point il allait faire du mal au renouvellement de la pensée en Islam. Il cible Ibn Rochd en affirmant qu'il est kafèr – mortâd et il ferme la porte de l'ijtihad andalou.
Par une ironie de l'histoire, au siècle d'Ibn Taymiyya, l'Europe prend son envol intellectuel grâce aux traductions d'Ibn Rochd en hébreu puis en latin. L'Eglise chrétienne a excommunié les écrits d'Ibn Rochd, elle s'est comportée comme notre très conservateur théologien musulman sans le connaître. Puis, elle recula devant la poussée des intellectuels européens.
Revenons à l'histoire du monde arabe. Au 18e siècle, un Saoudien reprend la thèse d'Ibn Taymiyya. C'est Ibn Abdelwahab (à ne pas confondre avec le chanteur égyptien). Il fonde le wahhabisme. Salafisme et wahhabisme sont la même chose. Au départ le wahhabisme reste isolé dans son désert d'origine sur le plateau du Nejd en Arabie centrale. Il auréole un petit peu vers les actuels pays du Golfe. La tache d'huile reste petite jusqu'à la découverte du pétrole qui va relier argent et religion.
Si l'Islam, au sens coranique, a pu se répandre largement dès sa naissance, c'est parce qu'on y trouve des valeurs universelles, le wahhabisme, lui, est porteur d'anti-humanisme. Il s'est répandu grâce à l'argent. Trop de pétrole rend fou. On émet des fatwas en plein cœur du 21e siècle fondées sur l'irrationalité. A titre d'exemple, cette fatwa délirante émise en 2010: la femme doit donner le sein à son collègue de bureau sous prétexte d'en faire un frère ou fils de lait !
Dans le système wahhabite on observe la polygamie, la répudiation, le voile du visage, le voile pour les petites filles, l'interdiction de la mixité, la réclusion au foyer et la surveillance des sorties. Il faut un visa pour franchir la porte. Il faut multiplier les maternités car le planning familial est jugé harâm. Et ce n'est pas fini. On sacralise la violence physique du conjoint et on peut punir par lapidation. La lapidation est citée dans la Bible (partie 5 de la Torah). Elle n'existe pas dans le Coran. Et pourtant!
Attention à la wahhabisation de la Tunisie. Elle a commencé à agir doucement sur les mentalités depuis la fin de l'ère bourguibienne. Entrée hier par la voie des nombreuses télés émanant des dictatures arabes à grosses ressources pétrolières, elle entre maintenant par la grande porte de la révolution… Le système s'accélère, ses éléments sont reliés entre eux comme dans tout système, c'est-à-dire que, si vous lui cédez un doigt il vous arrache le bras. La femme y devient une esclave. En Tunisie, nous avons aboli l'esclavage en 1846, il y a 165 ans (lire la fatwa de Mohamed Bayram qui a permis la réinterprétation du Coran dans ce sens). En Arabie Saoudite, on s'est opposé à sa suppression et on a tenu bon jusqu'en 1962. Faites votre compte c'est 116 ans derrière nous.
Il y a deux islams : l'islam wahhabite et l'islam andalou. L'un utilise l'argent du pétrole pour sa médiatisation, l'autre est sans le sou. Ils diffèrent pour une seconde raison. Ibn Abdelwahab a conclu de son vivant un pacte avec la dynastie politique des Ibn Saoud. Pouvoir dictatorial et religion se sont donné la main. A l'inverse de l'Islam andalou qui a connu, dès son origine, une véritable autonomie de pensée indépendante du pouvoir califal.
Mais l'argent du pétrole ne nous écrasera pas et le rationalisme d'Ibn Rochd triomphera en Tunisie. D'ailleurs, ce ne sera pas nouveau pour le pays. Au 14e siècle, Ibn Rochd fut enseigné à Tunis, petite ville des Lumières. Ibn Khaldoûn fut ému par l'œuvre. Dans sa jeunesse, il cherche à l'approfondir et il rédige des manuscrits où il la commente. Ils dorment dans la bibliothèque nationale. Il faut les réveiller.
La famille d'Ibn Khaldoûn est originaire de Chebilia: Séville en français et Sévilia en espagnol. Notre penseur a conservé les archives de ses ancêtres et lorsqu'il alla à Chebilia pour la première fois, il ressentit, confie-t-il, une émotion importante.
Entre le 13e et le 17e siècle, la Tunisie a reçu à bras ouverts des vagues successives d'immigrés andalous. Nous sommes le pays maghrébin qui a accueilli le plus de réfugiés. De nombreuses familles Andalouses ont rapporté avec elles les clés de leurs maisons construites en Espagne. C'est resté dans la mémoire orale de leurs descendants. Les Andalous ont enrichi notre art agricole, architectural, vestimentaire, musical et culinaire. Enfin, ils nous ont donné Ibn Khaldoûn, un penseur des Lumières universelles en droit fil avec Ibn Rochd.
Comment ne pas rendre justice à cette part d'Andalousie inscrite en nous les Tunisiens ? Un nouveau Maghreb qui réfléchit de façon plus juste sur nos spécificités historiques est-il en marche? Nos frères marocains viennent d'inscrire dans leur nouvelle Constitution, votée par référendum le 1er juillet 2011, leur identité andalouse aux côtés de leurs identités méditerranéenne, amazigh et arabe.


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