Des citoyens indépendants venus d'horizons divers réagissent à la crispation autour de l'identité. Le patriotisme, c'est l'amour de son pays, le nationalisme est la haine de l'autre, a dit l'écrivain français Romain Gary. C'est une victoire du second que manifeste l'adoption par la Haute Instance du "Pacte Républicain", après de longs débats autour de la définition de l'identité tunisienne. On aurait souhaité que ce pacte, censé servir de socle à la construction d'un régime et d'une société démocratiques, soit digne d'une révolution qui a bouleversé le monde par son caractère humaniste et ses revendications universalistes de dignité et de liberté, et par sa volonté de lutter contre toutes les formes de dictature. Ce n'est hélas pas le cas puisque c'est une définition tronquée de la personnalité tunisienne qu'ont choisi de privilégier les partisans du texte. Triste occasion manquée. Ainsi, la référence à l'appartenance méditerranéenne de notre pays a été totalement minimisée. Y a-t-il pourtant terre plus méditerranéenne que la nôtre, pétrie des apports venus de toutes ses rives ? Mais la Méditerranée est synonyme de pluralité, de diversité, de mélange, c'est-à-dire de ce qui est le cauchemar de tous les nationalismes, qu'ils soient d'inspiration laïque ou religieuse. Ceux qui s'en réclament chez nous voudraient une Tunisie née au VIIe siècle, exclusivement arabo-musulmane, pure de toute "pollution" cosmopolite, qui n'aurait rien à voir avec le vieux substrat berbère dont les traces têtues sont pourtant partout, et qui n'aurait puisé à aucun autre patrimoine. Ce faisant, ils rejoignent dans leurs dérives tous les nationalismes qui les ont précédés — en Europe et ailleurs — et qui ont fait sombrer leurs peuples dans tant de tragédies. Qui, pourtant, pourrait nier la place centrale de l'arabité et de l'Islam dans la personnalité tunisienne ? Mais la centralité ne suffit pas, c'est l'exclusivité qui est exigée. Les nationalistes se reconnaissent à leurs phantasmes, celui de la pureté en particulier, qui engendre automatiquement l'exclusion de l'autre, du territoire, de la mémoire, de la culture, de l'imaginaire. Ils se reconnaissent aussi dans leur entreprise de mythification de l'histoire et de construction d'un roman national n'ayant pas grand-chose à voir avec la réalité historique. Ils vendent du mythe à ceux qui les écoutent, et ne leur donnent jamais les outils servant à améliorer leur réel. En cela, tous les nationalistes se ressemblent, même quand ils se haïssent. Il est ainsi plaisant de voir les nôtres faire de la non normalisation des relations avec l'Etat d'Israël une priorité de la construction démocratique en Tunisie. Il ne s'agit pas là de soutien au peuple palestinien mais de bien autre chose. Ce qu'ils ne voient pas, c'est que le sionisme qu'ils vouent aux gémonies est le frère jumeau de leurs propres obssessions. Car qu'est-ce que le sionisme, sinon un nationalisme exacerbé fondé sur la mythification d'un supposé peuple juif et la détestation de tout ce qui ne l'est pas ? De même que les idéologues et les politiciens sionistes rejettent dans les ténèbres extérieures le non-juif et appellent à la fantasmatique pureté d'un Etat idéal débarassé de sa composante palestinienne, les idéologues et les politiciens nationalistes arabes ont débarassé depuis cinquante ans leurs pays respectifs de tout ce qui n'entrait pas dans "l'arabité". Aujourd'hui, ces deux nationalismes ont besoin l'un de l'autre : le sionisme nourrit sa popularité intérieure des dérives de ses adversaires, comme le nationalisme arabe a besoin du sionisme pour donner un visage à l'ennemi, cet étranger qui rôde et empêche l'entre-soi. Les Palestiniens n'ont eu, jusqu'ici, qu'à souffrir de l'affrontement entre ces deux haines. La paix, la vraie, celle fondée sur le droit et la justice pour un peuple depuis trop longtemps privé de patrie, et sur des compromis politiques qui ne le lèsent pas, ne pourra advenir que quand les Israéliens auront rejeté le sionisme et les Arabes le nationalisme. Alors, la raison pourra l'emporter. Quant au peuple tunisien, il est assez mûr et assez cultivé pour ne pas subir, une fois de plus, un déni de vérité : il est fait de toute la pâte de sa longue histoire. Ce qui lui reste d'ancestrales coutumes sont berbères. La mer qui l'entoure est la Méditerranée. Les pierres de ses vestiges sont puniques, romaines, vandales, espagnoles, turques. Au fil des siècles, sa langue est devenue l'arabe et la religion de la majorité de ses citoyens l'Islam. La beauté de sa culture est logée dans les temples de Sbeïtla, les mosquées de Kairouan et les synagogues de Djerba. Alors, que périsse le nationalisme porteur de pauvreté pour laisser place au patriotisme nourri de tout ce qui fait la tunisianité. NDLR : Cette pétition a déjà receulli une vingtaine de signatures, la liste demeurant ouverte.