Par Soufiane BEN FARHAT Voilà donc le fond du problème : à en croire M. Béji Caïd Essebsi dans son allocution d'avant-hier, le sit-in "Kasbah 3" est l'œuvre de parties qui ne sont pas préparées pour les élections de l'Assemblée constituante. Elles craignent que cette échéance ne dévoile leur véritable poids. Cela les pousserait à recourir à tous les moyens pour entraver le processus politique. Le Premier ministre parle avec un faisceau de moyens de preuves à l'appui. Il cite la simultanéité du nouveau sit-in de la Kasbah avec les actes de violence contre des locaux de la sécurité et des établissements publics dans diverses régions. Son constat coule de source : ce n'est pas un simple mouvement de protestation. Plutôt le dessein de faire régner la confusion et le désordre afin de piéger les élections à l'avance. M. Caïd Essebsi a stigmatisé également "le double langage dans les positions de certains partis". "Nous voulons qu'ils condamnent ces actions insensées", a-t-il surenchéri. Les médias ne sont guère en reste. Le Premier ministre les a exhortés à être conscients de l'importance de leur rôle. Il les a au demeurant accusés d'alimenter les rumeurs. Pis, il pense que certains médias, dont des organes dits "officiels", poussent au désordre. Le propos est assez grave. Personne ne doute de la véracité des éléments et faisceaux d'indices postulés par M. Béji Caïd Essebsi. Il dispose certainement d'éléments réels et factuels. Mais, n'étant guère dans le secret des dieux, nous n'en savons franchement rien. Une question se pose toutefois : pourquoi M. Caïd Essebsi parle-t-il indirectement et se contente-t-il, comme il l'a concédé, d'"allusions" ? La gravité de l'état des choses interpelle la clarté et la concision. En pareilles circonstances, il faut dire les choses par leur nom. Certes, le Premier ministre a bien incriminé l'extrême droite et l'extrême gauche. Mais cela demeure toujours flou aux yeux du citoyen lambda. Même des observateurs politiques avertis ne s'y retrouvent pas de prime abord. Ils doivent suivre les arcanes du raisonnement et de la démonstration pour tenter de situer le texte dans son contexte. Ce qui n'exclut pas de déchiffrer et d'extrapoler au besoin. On le sait depuis Al-Jahiz, talonné à quelques siècles d'intervalle par Boileau : ce qui se conçoit bien s'énonce clairement et les mots pour le dire arrivent aisément. Les hommes politiques, plus que tous les autres, devraient s'en inspirer. Parce qu'ils ont précisément une vocation (fonction) tribunicienne. Autant le dire sans fioritures. Le citoyen tunisien demeure toujours dans le vague. Quels seraient ces groupes de la discorde ? Le patchwork des partis et mouvances politiques est tel que se prononcer sans précaution peut s'avérer lourd de sens. Autre problématique relevée par maints observateurs : dans son allocution, M. Béji Caïd Essebsi n'a parlé que des blessés du côté des forces de l'ordre. Il leur avait rendu visite auparavant. Point d'allusion à l'enfant tué dans les confrontations avec les forces armées à Sidi Bouzid, ni aux blessés graves dans les rangs des citoyens. A en croire qu'il y aurait quelque exclusive ou monopole de la douleur. Ce n'est visiblement pas fortuit. Et l'on reste, encore une fois, dans le non-dit. De nouveau, la question de la communication gouvernementale revient sur le tapis. Un ami m'a fait observer l'autre jour que j'en serais devenu un spécialiste en quelque sorte. Point de prétention à ce propos. Il n'y a guère pli de carrière ou vocation dans le traitement de l'actualité. Cette dernière impose son tempo, et interpelle les modalités de son interprétation. Toujours est-il que le gouvernement, toutes instances confondues, communique mal. Il excelle même dans le ratage quasi systématique en matière de communication de crise. Ce qu'on pourrait reprocher avec mansuétude à un amateur ne saurait l'être à l'endroit de ceux qui tiennent la barre des affaires. Le pouvoir impose des responsabilités, voire des servitudes. Rater la communication claire, nette et précise équivaut à brouiller davantage les esprits. Et, loin d'apaiser les passions, maintenir les âmes en bouillonnement.