Le théâtre de Hammamet a accueilli, mardi dernier, un grand public venu à la (re)découverte de la dernière pièce Yahya yaïch (Amnesia), texte de Jalila Baccar et mise en scène de Fadhel Jaïbi. Produite par «Familia Productions», l'œuvre résume l'histoire d'une vie mouvementée d'un homme de pouvoir, nommé «Yahya» qui, limogé et mis en résidence surveillée, s'est enfermé dans sa bibliothèque jusqu'au jour où il est hospitalisé dans un asile psychiatrique pour troubles mentaux. Il est alors interrogé, à maintes reprises, par le staff médical, devenu enquêteur, pour déterminer s'il a essayé d'attenter à sa vie, ou s'il a voulu faire disparaître des documents compromettants, ou bien s'il s'agit tout simplement d'un hasard... Une dizaine de comédiens talentueux, parmi lesquels Jalila Baccar, Fatma Ben Saïdane, Sabah Bouzouita, Ramzi Azaïez, font leur entrée dans un mutisme absolu. Seuls leurs pas lourds, qui annoncent d'emblée le ton grave, voire dramatique, de la pièce, résonnent sur une scène plongée dans la pénombre. Le public, hypnotisé presque, attend que les langues se délient et que le silence et la tenue statique des protagonistes soient rompus. Coup de théâtre, une musique subite et assourdissante fait tressaillir l'assistance, les comédiens bougent, puis courent dans tous les sens. L'ambiance est électrique et on sent que la violence couve. Tous vêtus de noir, ils s'expriment corporellement en toute souplesse et légèreté sur scène, déplaçant, tantôt ici, tantôt là, des chaises en blanc, seul décor de la scène, dans une absence totale de la parole, pendant d'interminables minutes. La communication s'établit pourtant, le public se sent interpelé, bousclé et totalement impliqué dans le drame. Chaque mot, chaque attitude, chaque geste est révélateur d'une pensée, porteur d'un message pour tous. C'est une description de la condition humaine à partir d'une fresque des maux que la société subit par les abus et les excès dans lesquels un pouvoir absolu ne peut que tomber. Cela est accentué et mis en relief par des répliques, par une musique et par une chorégraphie qui alternent l'ironique et le dramatique, le «comique» et le grave. Le discours est ponctué, tantôt recherché tantôt simple. Un télescopage entre plusieurs registres qui, soulevant des problématiques essentielles, placées au cœur des préoccupations de la société et du peuple tunisiens, toujours à la recherche de son identité. Incarnant plusieurs personnages à la fois, les acteurs brossent un portrait exact d'une société où la télé, le foot et le mezoued font la loi, ce qui contribue, certainement, à l'émergence de dictateurs de la trempe de Ben Ali. Un réquisitoire contre un système pourri, clamé, il faut absolument le souligner, bien avant le départ du président déchu. C'est là le grand mérite de cette pièce et la preuve du courage militant de ses auteurs qui n'ont à aucun moment, sacrifié le facteur artistique.