Le général Abdel Fatah Younès, assassiné jeudi soir à Benghazi, dans l'Est libyen, était un fidèle du colonel Kadhafi pourtant vite passé dans les rangs de la rébellion lorsque celle-ci a éclaté en février. Né en 1944, cet homme à la silhouette solide avait participé en 1969 au coup d'Etat qui avait porté Mouammar Kadhafi au pouvoir. Les deux hommes avaient pratiquement le même âge et c'est à respectivement 25 et 27 ans qu'ils se retrouvent à la tête de la Libye après avoir renversé le vieux roi Idriss. Très vite, Younès devient l'éminence grise du colonel qui dirige le pays d'une main de fer. Il est notamment ministre de l'Intérieur, un signe de la confiance que lui accorde Kadhafi qui réprime toute velléité d'opposition intérieure. Membre de la tribu des Al-Obeidi, il est originaire de l'est du pays, le port de Tobrouk étant le berceau de la tribu. C'est en raison de sa connaissance de cette région que Mouammar Kadhafi l'envoie à Benghazi, la deuxième plus grande ville du pays et «capitale» de la région orientale de Cyrénaïque, pour mater la révolte qui y éclate à la mi-février. Les habitants de cette ville, traditionnellement rebelle au pouvoir de Tripoli, sont les premiers à se soulever en masse et se lancent, quasiment à mains nues, à l'assaut de la principale garnison de la ville. Arrivé sur place pour rétablir l'ordre, Abdel Fatah Younès surprend toutefois tout le monde en se ralliant à la rébellion. «J'annonce ma démission de toutes mes fonctions en réponse à la révolution», déclare-t-il le 22 février sur les écrans d'Al-Jazira, vêtu d'un uniforme militaire. Il fait part de sa «conviction totale par rapport à la sincérité des exigences» du peuple libyen et appelle «toutes les forces armées à répondre aussi aux demandes du peuple en solidarité avec la révolution». Avec celle de Moustapha Abdeljalil, ex-ministre de la Justice de Mouammar Kadhafi et aujourd'hui président du Comité national de transition (CNT), l'instance dirigeante de la rébellion, c'est la plus importante défection à frapper le régime libyen dans les premiers jours de la révolte. Dès lors, Abdel Fatah Younès va se consacrer à armer et organiser les rebelles, la plupart sans expérience de la guerre et de la discipline. Il joue également un rôle politique en accueillant les premiers diplomates des pays qui soutiennent la rébellion. «Il était un atout pour nous car, comme il avait travaillé pour Kadhafi pendant si longtemps, il connaissait ses troupes et leurs déplacements», souligne Mohammed Al-Reibi, un jeune habitant de Benghazi présent aux funérailles de Younès hier. Sa «conversion» à la rébellion ne fait toutefois pas l'unanimité. Certains se méfient de cet homme qui était encore quelques mois auparavant l'un des plus proches conseillers du colonel Kadhafi. Le 19 mars, le général Younès dément avoir repris ses fonctions au sein du régime de Tripoli comme l'affirment certaines rumeurs et exprime sa gratitude à l'Otan pour son intervention qui a permis de repousser la contre-offensive des troupes de Kadhafi sur Benghazi. Début avril, il n'hésite toutefois pas à s'en prendre aux Occidentaux, qu'il accuse de «laisser mourir» la ville de Misrata, alors assiégée par les troupes loyalistes. La veille de sa mort, il commande encore les troupes insurgées à Brega, port pétrolier stratégique repassé depuis quelques jours sous le contrôle des rebelles. Rappelé à Benghazi pour y être interrogé, selon Moustapha Abdeljalil, par une Commission s'occupant des affaires militaires, il disparaît jeudi dernier pendant plusieurs heures. Des rumeurs font état de son arrestation mais c'est en fin de soirée que le président du CNT annonce qu'il a été tué par un groupe de militaires, sans donner plus de détails sur les circonstances et les motivations de l'assassinat mais en accusant implicitement des éléments fidèles au colonel Kadhafi d'en être les auteurs.