Une quinzaine de personne, tout au plus, ont suivi lundi dernier, à Dar Sébastian au centre culturel international de Hammamet, la dernière pièce de théâtre L'Avenue de Ayoub Jaouadi. La pièce qui dure 45 minutes à peu près, s'inscrit dans le genre dramatique et ses péripéties se déroulent en plein centre-ville, où une multitude de personnes se croisent, s'arrêtent, défilent les uns après les autres, nous offrant un tableau représentant toutes les catégories sociales qu'on peut rencontrer au cœur d'une ville. Valise, sac ou caniche à la traîne, ils peignent un panorama détaillé d'une société tunisienne souffrante et au système de valeurs détraqué. Ce tableau vivant démarre avec six personnages sur scène, dans une posture figée, murmurant avec, en arrière fond, la parodie critique et verte de Bendirman de la chanson de Soufia Sadok, «bil amni wal aman, Yahya houna al insan» (ici, l'on vit en paix et dans la sécurité). Puis la scène s'anime et une ambiance ambiguë se crée; brouhaha et bruitage dominent. Incompréhensible jusque-là, pour le spectateur. Trois passagers : une femme d'un certain âge, déprimée parce que délaissée, un intellectuel alcoolique et marginalisé et un jeune diplômé qui veut, à tout prix, immigrer en Italie, s'arrêtent pour nous raconter leur douloureuse histoire. Ils tiennent, chacun à part, un discours redondant qui se réduit la plupart du temps à une seule réplique qui veut tout résumer. Dans une absence totale de communication, les protagonistes arrivent pourtant à communiquer au public leurs sentiments, leur histoire, leur vécu amer. Tout le discours, dans la rupture la plus totale de dialogue, se réduit à des répliques comme «assieds-toi», «mon patron ne veut pas se rappeler de moi», «tu ne veux pas te marier avec une femme, artiste jusqu'au bout des ongles?»…. Le rôle de l'intellectuel, joué par Jamel Chikhaoui, représente la fréquente marginalisation de ceux qui pensent et vivent autrement, par la société tunisienne. Celui campé par Dajla Rouissi parle d'une catégorie de femmes qui, ayant raté leur vie, cherchent à jeter leur dévolu sur un homme, n'importe lequel, pour combler un vide multidimensionnel. Achraf Adhadhi incarne, lui, le jeune maîtrisard en chômage, qui fuit la réalité et qui croit que la solution est ailleurs. La jeune Mariem Kahwaji, qui joue la fille de joie, intervient sur scène pour répéter : «Ma mère est une femme militante qui est partie il y a 50 ans. Jamais elle n'est revenue», «mon père est mort, il ne nous a laissé que quelques livres», «mon frère est mort». Une nette allusion aux personnages cités plus haut et à une société désunie. Les jeunes Arwa Jandoubi et Ghaith Kahwaji montent, de temps à autre, sur scène pour se quereller sur des futilités, en criant leur faim. La pièce qui se joue dans la rupture, parfois dans le silence, dans la redondance des actes et des paroles, abuse, de surcroît, des termes vulgaires, fort abondants dans le texte, et manque d'une progression logique au niveau de la thématique et du discours. Mal écrite et mal jouée, elle présente, en plus, une ambiguïxté totale jusque dans sa conception.