Par Soufiane BEN FARHAT Le double attentat particulièrement meurtrier commis le 22 juillet à Oslo par Anders Breivik remet sur le tapis la question de l'islamophobie. C'est un mal endémique qui grossit au fil des jours. Et il passe le plus clair du temps inaperçu. Parce que sciemment tu et tenu sous le boisseau. Aux dernières nouvelles, Anders Breivik a, semble-t-il, puisé dans les idées de Paul Ray, un ancien membre de l'English Defence League (EDL), mouvement d'extrême droite britannique. Selon le Times, "c'est en tout cas ce qu'a reconnu l'activiste le jeudi 28 juillet, en déclarant au Times que ses opinions islamophobes avaient influencé le Norvégien. Paul Ray est à la tête d'un mouvement de Néo-Chevaliers du Temple, une référence aux croisades médiévales en Terre sainte, et tient le blog Richard The Lionhearted [Richard Cœur de Lion]. Les propos qui y sont tenus ont inspiré le manifeste raciste mis en ligne par Breivik pour justifier le massacre des 77 personnes". Ailleurs, on n'est guère mieux loti. En France, pas une semaine sans que quelque diatribe publique soit proférée à l'endroit des musulmans. En toute impunité. En Italie, la chasse à l'homme musulman vire au sport national. Aux Etats-Unis d'Amérique, on craint sérieusement, à terme, des attentats anti-islamiques d'envergure et particulièrement sanglants. Bref, partout on casse du musulman ou on brûle du désir de le faire. Et c'est d'autant plus navrant qu'une hypocrisie non avouée mais largement partagée feint de n'en rien savoir. Toute violence, quelle qu'elle soit, est injustifiée. Tout refus de l'autre, tout autre, est condamnable. On ne le répétera jamais assez. Seulement, il y a ce fameux double standard du deux poids et deux mesures qui n'en finit pas d'envenimer la situation. En journaliste professionnel, je sais bien que nous disposons d'une foule d'informations importantes. On ne les communique pas toutes, certes. Il y a toujours des priorités et des échelles de hiérarchie des normes et des opportunités. Mais suffit-il que quelque événement fracassant investisse la place pour que les mises en perspective fusent. On déballe tout, ou presque. En tout cas, on dit l'essentiel. Concernant l'islamophobie, le processus est inversé. Plus les faits sont saillants, moins les médias et les instances politiques en parlent. C'est paradoxal, mais c'est ainsi. La question relève de vieilles rivalités et préventions dont on n'arrive visiblement pas à se débarrasser. En la matière, le mort saisit toujours le vif. Les ravages du terrorisme islamiste ne sauraient légitimer cette conspiration du silence. Et le silence est par moments coupable, à l'instar du mensonge par omission, ou de la légitimation par acceptation tacite. Aujourd'hui, le monde est ouvert, du moins à l'échelle de la circulation des idées. Les autoroutes de la communication embrassent le monde entier. L'information est la plus redoutable des armes. Elle peut être un atout, dans la mesure où elle promeut la vérité et le droit de savoir. Elle peut en revanche officier comme un puissant levier du dispositif de manipulation des esprits et d'embrigadement des masses. C'est très pernicieux et pervers. Le terme fanatisme semble ainsi être réservé aux seuls musulmans. Pourtant, le fanatisme chrétien ou juif existe bien. Et il fait des ravages. Un exemple entre autres tiré du site d'information américain The Daily Beast : "Un fanatique islamophobe pourrait-il commettre un attentat terroriste de grande envergure aux Etats-Unis ? La réponse est oui, car le fanatisme anti-musulman qui a influencé Anders Behring Breivik en Norvège est aussi très répandu ici". Au cours des dernières décennies, les Etats-Unis ont connu de nombreux actes terroristes commis par des chrétiens de la droite extrême. En avril 1995, l'explosion d'un camion piégé à Oklahoma City – le plus important attentat jamais commis aux Etats-Unis avant celui du 11 septembre 2001 – a été le fait de Timothy McVeigh, un ancien militaire lié aux milices d'extrême droite. La même année, Eric Rudolph faisait exploser une bombe en plein Jeux olympiques d'Atlanta pour protester contre "l'avortement et le socialisme international". La seule série d'attaques impliquant des armes de destruction massive durant l'ère de la "guerre contre le terrorisme" (l'envoi d'enveloppes contaminées à l'anthrax — le bacille du charbon —, en septembre et octobre 2001, à plusieurs grands médias et deux sénateurs américains qui avait fait cinq morts) était apparemment l'œuvre d'un microbiologiste [Bruce Ivins, scientifique du laboratoire de recherche sur les armes biologiques de l'armée américaine qui a mis fin à ses jours en juillet 2008], furieux que d'éminentes figures politiques catholiques soient favorables à l'avortement." Il est surprenant de constater que la majeure partie de l'opinion américaine et mondiale — et même musulmane — croit toujours que l'envoi d'enveloppes contaminées à l'anthrax – le bacille du charbon — en septembre et octobre 2001, soit l'œuvre des terroristes musulmans. Et c'est tout dire.