Il ne se décide pas à pleuvoir en cette soirée du 3 août 2011, date du programme palestinien au festival international de Hammamet. Dans la lumière des phares qui éclairent l'obscurité épaisse de l'autoroute, quelques goutes seulement annoncent une prochaine journée chaude et nuageuse. Est-ce le climat incertain qui a vidé la ville de Hammamet, d'habitude surpeuplée de visiteurs et de vacanciers? Au centre-ville, quelques cafés ouverts offrent leurs services à des hommes en manque de tabac après une longue journée de jeûne. Des pâtisseries, super éclairées, servent glaces et sorbets pour des clients à la recherche de douceurs. Les restaurants, ayant dressé leurs couverts, attendent impatiemment les quelques touristes qui, malgré le nouveau rythme et la page alcools qui manque au menu, pourraient quitter l'hôtel pour dîner dehors. Il est 22h00. Le spectacle commence trente minutes plus tard. A l'entrée du théâtre de plein air, ce n'est nullement la foule. Bien entendu. Nous traversons l'allée qui mène aux gradins, accompagnés par un arrière-goût d'amertume. Le goût de la vie qui change. Un thé trop sucré nous fait patienter. Au bout d'une discussion avec des collègues à propos de la profession et de son avenir, on annonce le début du spectacle. Fort heureusement, quelque deux cents spectateurs sont déjà là. C'est Alaa Azzam, luthiste, chanteur et compositeur de la troupe Joudhour (Racines) qui inaugure la soirée, accompagné par un percussionniste. Oh, que sa première chanson a du sens pour nous! Les paroles disent : «Nous continuerons à nous battre, même s'ils détruisent des théâtres». Le public est conquis. Les chansons qui suivent nous rassurent sur le déroulement de la soirée qui s'avère sympathique et «conviviale». Alaa Azzam, on dirait, dit ce que ses spectateurs aimeraient entendre. Lui non plus ne sait pas par quoi commencer, se taire ou parler. Ses paroles risquent de blesser et son silence ne pourrait, non plus, l'apaiser. On applaudit lorsque le chanteur prononce le nom du célèbre poète et parolier égyptien Ahmed Foued Nejm. Dans l'une des chansons composées par Azzam et intitulée Ala chou bethez rassek? (pourquoi lèves-tu la tête ?), ce dernier se met à la place des dictateurs pour dénoncer la tyrannie. Ce qui est censé être le clou de la soirée arrive enfin. Il s'agit de Samih Al Kacem, présenté comme le fan des Tunisiens. Il nous déclame avec cette éloquence digne des grands poètes, son désormais célèbre Al Ankaa, poème écrit en hommage à la Tunisie de la révolution. Puis c'est au tour de Rihem Hamadi d'animer la troisième partie de la soirée avec des chansons dites «engagées» du genre Yama mouwayl al hawa, extraites du répertoire oriental. Et c'est avec Elyes Atallah que les gradins chauffent. Il commence par chanter un air très familier avec des paroles de Samih Al Kacem : Mountasiba'l kamati amchi. Cette soirée musicale qui raconte un monde d'ombres et de sang, de courage et de lutte, finit en beauté avec les rythmes de la Débkeh. Les Syriens de la troupe Rawaa' at'tarab al halabi et d'el mawlaouiya, programmées pour le lendemain, ne peuvent s'empêcher de monter sur scène et danser. Cela nous fait plaisir, bien qu'au fond, nos esprits et les leurs ne songent nullement aux réjouissances.