Dans sa conférence de presse du 18 juin dernier, M. Abdelfettah Amor, président de la Commission nationale d'investigation sur les affaires de corruption et de malversation, avait annoncé une proposition d'élaborer une loi-cadre pour la lutte contre la corruption et la malversation et la création d'un mécanisme indépendant. Depuis, l'idée a pris forme et l'on apprend que le projet vient d'être élaboré et sera soumis à la consultation d'experts et de personnes qualifiées avant d'être transmis au gouvernement pour adoption. La corruption et la malversation ont connu au cours des dernières années des proportions alarmantes, gangréné tous les rouages de l'Etat et de la société et ont, même, été érigées en système qui a fortement affaibli les institutions et les structures de l'Etat et contribué à la banalisation de la corruption et de la malversation. Ce phénomène, devenu presque normal, est d'autant plus inquiétant qu'outre il porte atteinte à l'image du pays, il ronge l'économie et instaure la culture de l'appât du gain. La commission s'en est rendue compte, elle qui, depuis sa création, travaille d'arrache-pied, comme sur un champ de mines, pour "découvrir le pot aux roses", étendant ses investigations à toutes les structures de l'Etat pour se saisir des cas précis comme la fraude, l'escroquerie et les contrats illégaux. Créée dans une conjoncture bien déterminée, avec une mission limitée dans le temps, cette commission, une fois ses travaux d'investigation terminés, sera appelée à disparaître. Avec le risque de voir les vieux démons ressurgir. Car on n'est pas à l'abri de toute forme de collusion, de concussion, de déprédation, de détournement de fonds, de trafic d'influences ou de fraudes et d'abus de pouvoir. Et pour que personne ne puisse, dorénavant, se prévaloir d'une quelconque impunité, le projet de décret-loi cadre prévoit la création d'une Instance nationale de lutte contre la corruption et la malversation qui officiera comme une commission permanente et indépendante de tout pouvoir avec des prérogatives élargies et des missions précises. Le projet de décret-loi cadre comprend deux gros chapitres. D'abord celui des principes généraux et qui définit un certain nombre de concepts dont notamment la malversation qui est le détournement de fonds dans l'exercice d'une charge ou d'une fonction et qui s'étend pour englober les crimes de corruption. L'honnêteté qui est un système érigé sur des principes du respect de la loi. La transparence qui signifie, entre autres, la libre circulation de l'information mais qui n'est pas exactement synonyme de communication et cible les parties prenantes selon leurs intérêts afin de permettre aux autorités compétentes de prendre les décisions qui s'imposent pour sauvegarder les intérêts de tout un chacun. La liste des concepts comprend aussi la responsabilité pénale, civile et disciplinaire, les structures de contrôle, l'instance, et les revenus des malversations. Le projet définit, également, les responsabilités de l'Etat et des organismes publics dans la lutte contre la corruption et la malversation. L'Etat doit, en effet, inscrire la lutte contre la corruption et la malversation en tant qu'axe fondamental dans les programmes de développement humain, économique et social selon une méthodologie globale qui couvre tous les domaines de son intervention, participative de manière à mobiliser toutes les compétences de la société et interactive pour favoriser l'échange d'informations entre les différents intervenants. L'Etat doit aussi assurer l'application de sa politique dans le domaine de la lutte contre la corruption et la malversation par la mise en place de mesures pratiques susceptibles de renforcer l'honnêteté, la transparence, le respect de la loi et l'assujettissement au contrôle. Le projet prévoit d'associer la société dans la lutte contre ce phénomène et stipule que l'Etat doit œuvrer à sensibiliser aux dangers de la corruption et de la malversation et à diffuser l'information sur les cas relevés. Alors que les personnes nommées à la tête d'entreprises ou d'établissements publics sont appelées à adopter des principes clairs pour lutter contre ce phénomène conformément à un cadre général qui doit être arrêté en coordination avec l'Instance. Sensibilisation et dissuasion Le second chapitre est réservé à l'Instance, ses missions et son mode de fonctionnement. L'Instance détermine les politiques de lutte contre la corruption et la malversation et assure le suivi de leur exécution en coordination avec les parties concernées, œuvre à dévoiler les lieux où sévit ce phénomène dans les secteurs publics et privés, reçoit les requêtes et les informations concernant les cas de corruption et de malversation et procède à des enquêtes avant de transmettre les dossiers aux parties concernées dont la justice. L'Instance doit également rassembler les données et les statistiques relatives à la corruption et à la malversation et les exploiter dans une base de données. Elle donne son avis sur les projets de textes de loi et de règlement en rapport avec la lutte contre le phénomène. Elle a enfin une mission éducative qui consiste à sensibiliser aux dangers de la corruption et de la malversation par l'organisation de séminaires, de colloques et de rencontres, des sessions de formation et par la publication de brochures et de guides. Elle est, enfin, appelée à réaliser des études et des recherches sur le phénomène de la corruption et de la malversation. L'Instance se compose d'un conseil, d'un mécanisme de prévention et d'investigation et d'un secrétariat général. Le conseil comprend un président et une vingtaine de membres tous nommés par décret. Ils sont choisis parmi les fonctionnaires des structures de contrôle et d'inspection, la société civile, les magistrats et les représentants du secteur de l'information et de la communication. Le mandat des membres est de trois ans renouvelable une seule fois. Le conseil examine les grandes orientations du travail de l'Instance, donne son avis sur son mode de fonctionnement, institue le règlement intérieur et adopte le rapport annuel. Le mécanisme de prévention et d'investigation dont les membres sont affectés à plein temps se compose d'un président et de 16 membres nommés par décret parmi les personnalités connues pour leur honnêteté et leur compétence dans les spécialités juridique, financière, de contrôle, de fiscalité, des domaines fonciers et autres. Ils siègent pendant un seul mandat de 6 ans. La mission de ce mécanisme consiste essentiellement à proposer l'organigramme de l'Instance, élaborer les projets de textes de loi ou de textes réglementaires, créer des sous-commissions et préparer le projet du budget de l'Instance. Il procède à la collecte des informations, des documents et des témoignages à même de faire éclater la vérité sur les crimes de corruption et de malversation commises par des personnes physiques ou morales opérant dans le public ou dans le privé ou n'importe quelle organisation, association ou comité quelle que soit leur nature. Le président de l'Instance veillera sur son fonctionnement, préside ses réunions et la représente auprès des tiers. Nommé par décret et affecté à plein temps, il bénéficie tout comme les membres du mécanisme de contrôle et d'investigation de l'immunité pendant l'exercice de ses fonctions. Tous les membres de ladite Instance ont la qualité d'officiers judiciaires lors de l'accomplissement des enquêtes sur les crimes de corruption et de malversation. Leurs procès-verbaux et rapports sont considérés comme des preuves ne pouvant souffrir une quelconque opposition pour faux témoignage. Ils prononcent le serment suivant devant le Président de la République : "Je jure d'être fidèle à la patrie, de respecter la Constitution et les lois et d'assumer mes fonctions en toute indépendance et loyauté". Cette Instance qui remplacera bien évidemment l'actuelle commission nationale d'investigation sur les affaires de corruption et de malversation vient combler un vide institutionnel. Elle fera office d'un observatoire d'information, de sensibilisation, de veille et de contrôle et œuvrera à la prévention, à la détection et à l'éradication de ce phénomène. Elle aura une mission dissuasive, permettra de rompre avec le silence coupable qui caractérise notre société et contribuera à lutter contre l'impunité de certains coupables.