Par Soufiane Ben Farhat Parfois, l'information tronquée prend l'allure de compte rendu d'un non-événement. Ainsi en est-il de celle faisant état de la réunion, vendredi matin, du président de la Haute Instance pour la réalisation des objectifs de la révolution avec des partis politiques. On apprend ainsi que M. Yadh Ben Achour a rencontré, à son initiative, les représentants du Parti démocratique progressiste (PDP), du Forum démocratique pour le travail et les libertés (Fdtl), du Mouvement des démocrates socialistes (MDS), du Parti de la réforme et du développement (PRD), du parti "Tunisie la Verte", du Parti socialiste de gauche (PSG), du Parti de l'avant-garde arabe démocratique, du Mouvement Ettajdid, du Parti ouvrier national démocratique et du mouvement Ennahdha. Une dépêche de l'agence TAP en a rendu compte en ces termes : "Les participants à la réunion ont analysé la situation actuelle dans le pays, au niveau politique, sécuritaire et électoral. Ils ont, en outre, évoqué la question de l'Assemblée nationale constituante et de la période postélectorale, ainsi que d'autres sujets portant sur le rendement du gouvernement de transition, des médias, des partis, de la Haute Instance pour la réalisation des objectifs de la révolution et de l'Instance supérieure indépendante pour les élections. Les participants ont décidé de poursuivre le dialogue, dans de prochaines réunions, de même qu'ils ont entamé une réflexion sur la possibilité d'élargir cette initiative à d'autres partis. Une deuxième réunion est prévue mercredi 10 août". En fait, à bien y voir, la dépêche n'en dit rien. Il y a un certain air d'inachevé, sinon de mystère. Plusieurs questions se bousculent : Pourquoi M. Yadh Ben Achour a-t-il choisi ces partis plutôt que d'autres ? Etait-ce un simple tour d'horizon ou une initiative à but précis mais non déclaré ? Et c'est quoi l'histoire de la "réflexion" sur la possibilité d'élargir cette initiative à d'autres partis ? Idem pour l'analyse de la situation dans le pays, au niveau politique, sécuritaire et électoral, la "question" de l'Assemblée constituante, de la période postélectorale, du rendement du gouvernement intérimaire, des médias, des partis, de la Haute Instance pour la réalisation des objectifs de la révolution et de l'Instance supérieure indépendante pour les élections. Autant de têtes de chapitre des composantes d'un grand mystère. La démarche, toute démarche de dialogue et de concertation est salutaire. Personne ne le nie. Seulement, le secret nourrit toujours les conjectures et extrapolations. Et certaines initiatives suscitent plus de malentendus, voire de rivalités et de frictions, qu'elles ne produisent de consensus. Aujourd'hui, lorsqu'on aborde l'enceinte des partis et des hautes instances qui sont désormais légion sous nos cieux révolutionnaires, on souscrit à d'amers constats. L'absence de culture politique de dialogue laisse souvent la place soit aux monologues soit aux coalitions équivoques et ambiguës. Dès lors, de généreuses ambitions finissent par moments en queue de poisson. Elles deviennent carrément contre-productives parfois. Considérée intrinsèquement, la constellation des partis politiques déconcerte. Il y a plus d'illustres inconnus que d'acteurs reconnus ou repérables d'une manière ou d'une autre sur la place. Certains d'entre eux étonnent par leurs capacités financières, notamment à l'occasion de méga-opérations publicitaires. D'autres n'apparaissent qu'à la faveur de frictions, de démentis ou de règlements de comptes. La semaine dernière, dans une lettre ouverte aux dirigeants et militants du PDP, d'Ettakatol et d'Ennahdha, M. Moncef Marzouki, président du Congrès pour la République (CPR), avait vivement dénoncé les dépenses faramineuses faites par ces trois partis dans les opérations publicitaires et les actions caritatives, ce qui, à l'en croire, fausse fondamentalement le jeu démocratique. On y lit notamment : " Que c'est laid que de telles sommes faramineuses soient dépensées dans une conjoncture économique difficile, et dilapidées dans des opérations publicitaires basées sur les techniques d'influence latente, voire sur la duperie. Tous les partis sont devenus des sociétés politiques, commercialisant leurs programmes, comme on commercialise les parfums et les yoghourts. Par ailleurs, selon des informations en provenance de Kasserine, l'obtention d'un travail dans les chantiers est désormais tributaire de l'adhésion à un tel parti ou tel autre. Quelle infamie que la pauvreté et l'ignorance des citoyens soient exploitées d'une manière si éhontée, un mauvais présage, s'il en est, pour la démocratie qui pourrait être mort-née" (Traduit par Gnet). Et il se trouve précisément que les trois partis incriminés –qui n'ont toujours pas répondu officiellement à la lettre ouverte de M. Marzouki — soient parmi ceux invités à la réunion avec M. Yadh Ben Achour. Entre le dit, l'inter-dit et le non-dit, on ne semble pas être sorti de sitôt de l'auberge. C'est toujours ainsi en partitocratie. La tchatche se poursuit, les mystères demeurent.