Par Soufiane Ben Farhat Les Britanniques s'interrogent sur les raisons de la plus grave flambée de violences connue à Londres depuis plus de vingt-cinq ans. Les images des scènes d'émeutes et de pillages ont fait le tour du monde en début de semaine. Certains quartiers de la City brûlaient. Des hordes de jeunes cagoulés et masqués y étaient aux prises avec les forces de l'ordre. D'autres volaient les établissements de commerce et mettaient le feu aux bâtiments et aux véhicules. Le gouvernement a choisi la riposte à la poigne, comme au bon vieux temps de la Dame de fer. Rien qu'à Londres, 16.000 policiers ont été déployés mardi soir contre seulement 6.000 la veille. Le Premier ministre David Cameron a cependant qualifié les émeutes de banale criminalité. Il a complètement éclipsé, voire éludé, les conditions socioéconomiques dans les quartiers enflammés. La classe politique n'est pas en reste. Elle estime, avec la police, qu'il s'agit de "violence gratuite et de vol opportuniste, ni plus ni moins", aux dires du vice-Premier ministre, Nick Clegg. Pourtant, les responsables des communautés locales jugent les conditions socioéconomiques difficiles responsables de l'irruption particulièrement spectaculaire des violences. Le journal libéral The Independent y va d'un autre son de cloche. A l'en croire, ce phénomène "doit être interprété comme une explosion d'agressivité d'une 'sous-classe' exclue socialement et économiquement". Nombre d'observateurs pointent du doigt la politique d'austérité visant à réduire les déficits publics. Elle a aggravé la situation de la jeunesse déjà fortement éprouvée par le chômage. D'ailleurs, de nombreux émeutiers proviennent de quartiers à très haut taux de chômage. Ils revendiquent leur statut de laissés-pour-compte et crient leur rejet du système. L'agence Reuters rapporte des témoignages édifiants à ce propos : "C'est nous contre eux, les policiers, le système. Ils appellent tout ça du pillage et de la criminalité. Mais ça n'a rien à voir. C'est juste la haine profonde du système", confie un jeune d'Hackney, théâtre de violences lundi. L'agence incrimine également les scandales de corruption entachant la police londonienne et celui de 2009 sur les notes de frais des parlementaires. Ils ont cristallisé l'image de l'avidité de toute la société : "Tout le monde a entendu parler des pots-de-vin de la police, des parlementaires volant des milliers de livres avec leurs notes de frais. Ils ont donné l'exemple. C'est l'heure de piller", a affirmé à Reuters le jeune homme du quartier d'Hackney. La politique économique conservatrice a encore jeté de l'huile sur le feu. Le gouvernement britannique a fait des coupes draconiennes dans les dépenses sociales et augmenté les impôts. Les écarts de richesse se font de plus en plus graves. Interpellé à maintes reprises, David Cameron a fait la sourde oreille aux appels contre la cure d'austérité. Crise économique, austérité, chômage et crise de confiance et de légitimité ont préparé le terreau. Les ingrédients du drame étaient — et sont toujours — on ne peut plus manifestement explosifs. Ajoutons-y un autre élément capital observable depuis peu un peu partout dans le monde : la dérégulation du marché de la violence. Témoin cette information rapportée par Le Monde : "Dans la liste des quinze articles de sport les plus vendus entre mardi 9 et mercredi 10 août sur le portail anglais du distributeur en ligne Amazon, on ne trouve ni accessoires de camping ni jeux de plage, mais des matraques télescopiques, des nunchakus, des pics à glace et des battes de baseball. L'un des modèles en aluminium a même vu ses ventes multipliées par 44 en vingt-quatre heures, ce qui lui a valu de passer du rang de 352e à celui de 8e dans les articles les plus vendus". A Londres, la crise a produit des effets pervers. Nul n'en est à l'abri. Partout.